Belle initiative des salles UGC de rediffuser, dans le cadre de leur « ciné culte », THE BIG LEBOWSKI, bijou des frères Coen vénéré à travers le monde. Après une pénible journée passée à donner cours à de futurs graphistes croyant encore que le PSYCHOSE d’Hitchcock est une adaptation ciné de la série BATES MOTEL (ne me demandez pas si c’est du vécu… c’est authentique !), quoi de mieux qu’un retour chez le « Dude », ses parties de bowling entre deux « White Russian » avec ses potes Donny et Walter, ses délires oniriques et ses rencontres toutes plus dingues les unes que les autres à bord de sa Gran Torino cabossée. Le trip vous tente ? Relaxez-vous, la cool attitude est de rigueur !
Des origines bien réelles
Au début des années 80, les frères Joel et Ethan Coen sont en pleine recherche d’un distributeur pour leur premier film, SANG POUR SANG. Ils font la connaissance de Jeff Dowd, producteur indépendant et ancien activiste opposé à la Guerre du Vietnam. L’allure hirsute de Dowd et son penchant pour « le Caucasien », un cocktail également nommé… « White Russian », va les marquer, on s’en doute, pour créer le personnage de Jeffrey Lebowski.
Toujours durant cette période de recherche, le réalisateur Barry Sonnenfeld (LA FAMILLE ADAMS, MEN IN BLACK…) présente Peter Exline, un script consultant et vétéran du Vietnam, aux frères Coen. Exline habite à l’époque un appartement miteux, pourvu d’un tapis qu’il adore. Ayant sympathisé avec les Coen, il leur raconte un jour le vol de sa voiture et comment, avec l’aide d’un ami détective, il retrouvera l’un des auteurs du vol en découvrant, dans son véhicule enfin récupéré, le devoir d’un collégien de 12 ans !
Plus tard, c’est durant le tournage de BARTON FINK, au début des années 90, que Joel et Ethan Coen vont rencontrer John Milius. Scénariste sur des films comme MAGNUM FORCE ou APOCALYPSE NOW, et réalisateur de CONAN LE BARBARE avec Arnold Schwarzenegger, Milius est un adepte des armes à feu, réputé pour son goût pour les grandes figures révolutionnaires. Il sera une grande source d’inspiration pour le personnage de Walter Sobchak, l’ami exalté du « Dude », toujours prêt à dégainer son Colt 45.
2 acteurs pour du Chandler revisité
Avec ces multiples références puisées dans leurs relations, Joel et Ethan Coen commencent l’écriture de THE BIG LEBOWSKI parallèlement à celle de BARTON FINK. Ils ont en tête Jeff Bridges (LA DERNIÈRE SÉANCE, TRON, À DOUBLE TRANCHANT, STARMAN…) et John Goodman (la série tv ROSEANNE, SEA OF LOVE, ARIZONA JUNIOR…), l’un de leurs acteurs de prédilection, pour interpréter le duo central du film et sur lequel ils vont baser leur récit.
Cette trame sera établie selon les codes narratifs tortueux du polar noir, tels que les utilisait Raymond Chandler dans ses romans. LE GRAND SOMMEIL devient ainsi le livre de référence des Coen. Les 2 frères vont multiplier les personnages aux caractères et looks bien marqués, et situer l’action dans un Los Angeles contemporain tout en l’ancrant dans une certaine nostalgie « vintage » signifiée par le décor kitsch du bowling.
Bridges et Goodman n’étant pas disponibles, Joel et Ethan Coen repoussent le tournage et mettent en chantier FARGO, Prix de la Mise en Scène à Cannes en 1996. Preuve s’il en est que THE BIG LEBOWSKI a été conçu pour les deux acteurs…
Pour illustrer musicalement le film, les Coen se tournent à nouveau vers Carter Burwell, leur compositeur attitré depuis SANS POUR SANG. Ils choisissent aussi d’attacher à chaque personnage un titre ou un genre musical bien ancré dans l’histoire des États-Unis, du jazz de Nina Simone au blues rock de Captain Beefheart en passant par l’easy-listening d’Henry Mancini et la folk song de Bob Dylan. Le musicien et producteur T-Bone Burnet est choisi pour obtenir les droits des différents standards sélectionnés et constituer une compilation indissociable des grands moments du film. On ne peut ainsi oublier l’introduction de Jésus, grand numéro de John Turturro sur la reprise d’Hotel California des Eagles par les Gipsy King !
Peace and love mais pas sur mon tapis !
Tout le monde (ou presque) connaît aujourd’hui l’histoire de THE BIG LEBOWSKI. À la suite d’une méprise, Jeffrey Lebowski, dit le Dude (le Duc en VF), un baba-cool dilettante amateur de coktails, de bowling et de cigarettes qui font rire, est agressé à son domicile par deux individus louches. Comble du préjudice : l’un des malfrats a uriné sur son tapis fétiche ! Demandant réparation, le Dude rencontre l’autre Lebowski, un riche industriel à la retraite, et plonge dans une sombre affaire d’enlèvement et de gros sous…
S’appuyant donc sur le principe du film noir, saupoudré d’une grand dose de non-sens et d’humour décalé, les frères Coen nous offrent une galerie de personnages tous plus azymutés les uns que les autres. La trame est un prétexte à un véritable défilé de bras cassés, interprétés par des acteurs hors-pair venus compléter le casting autour du brillant binome Bridges / Goodman.
Après un rôle très bavard dans FARGO, Steve Buscemi (MYSTERY TRAIN, RESERVOIR DOGS, la série tv BOARDWALK EMPIRE…), acteur fétiche des frères Coen, est engagé pour le personnage de Donny, comparse quasi muet du Dude et de Walter dans THE BIG LEBOWSKI. John Turturro (RAGING BULL, BARTON FINK, MILLER’S CROSSING…), autre habitué des Coen, fait une participation très remarqué dans le rôle de l’éxubérant Jesus Quintano, l’adversaire de bowling de Jeff Lebowki. Enfin, le film est aussi l’occasion de voir respectivement Julianne Moore (LE FUGITIF, LOIN DU PARADIS, STILL ALICE…) et Philip Seymour Hoffman (MAGNOLIA, GOOD MORNING ENGLAND…) dans l’une de leurs premières interprétations, et Ben Gazzara (AUTOPSIE D’UN MEURTRE, MEURTRE D’UN BOOKMAKER CHINOIS…), grand complice de John Cassavetes.
Avec un tel casting, les dialogues de THE BIG LEBOWSKI prennent une saveur irréristible et le comique de répétition de certaines répliques (les fameux « am I wrong ? » ou « shut the fuck up, Donny ! » de Walter, par exemple) les rend instantanément cultes.
Le film s’avère profondément anti-militariste. Situé au début des années 90, en pleine première guerre du Golfe, THE BIG LEBOWSKI critique cette époque paranoïaque à travers ses protagonistes foutraques et son scénario à multiples tiroirs. À travers le « grand » Lebowski et Walter Sobchak, les Coen épinglent au passage les conflits coréen et vietnamien, précédentes plaies ouvertes des États-Unis. Personnages forts en gueule mais pleutres et incompétents, argumentant inutilement de leurs passés de vétérans à la moindre occasion, les « héros » de l’Amérique ne sont plus ce qu’ils étaient. Derrière son évident « je-m’en-foutisme », le Dude devient le seul protagoniste équilibré du récit : entre des nihilistes plus bêtes que méchants, un producteur ciné véreux, une artiste de happenings calculatrice, un joueur de bowling maniaque et pédéraste, un ado voleur de voitures, un propriétaire immobilier danseur du dimanche et un pote hystérique, Jeff Lebowski nous apparaît bien sage.
Une sortie mitigée
Si THE BIG LEBOWSKI est devenu avec le temps un film phénomène, apprécié du public comme de la critique, l’engouement n’a pas été immédiat. À sa sortie américaine au début de l’année 1998, le film est sévèrement critiqué pour son scénario délirant mais plus encore pour la grossièreté de ses dialogues !
En France, l’accueil est moins tiède. Ce qui n’empêche pas certains médias, comme Télérama, d’y voir une œuvre amusante mais qui ne laissera pas « un grand souvenir cinéphilique » dans la carrière des frères Coen. Pas vraiment visionnaire l’hebdomadaire élitiste…
Probablement relayé par les fans de la première heure et la sortie vidéo du film, le culte autour de THE BIG LEBOWSKI commence véritablement en 2002. Cette année là, une manifestation annuelle, nommé LEBOWSKI FEST , démarre aux États Unis. On y célèbre le film des frères Coen autour de parties de bowling, de projections non-stop et de concours. L’engouement est tel que la manifestation va se propager dans plusieurs grandes villes américaines avant d’être exportée !
En 2005, une parodie de religion, le DUDEISME, est lancée par un journaliste de Los Angeles. Basée sur le mode de vie décalée et sans prise de tête de Jeff Lebowski, elle va faire de nombreux adeptes au point de compter 150 000 « prêtres » 7 ans plus tard !

En 17 ans, THE BIG LEBOWSKI est probablement devenu le film le plus cité des frères Coen, si ce n’est le plus célèbre de par le monde. Nouvelle preuve de leur talent à « 4 mains », tant dans l’écriture que dans le sens de l’image et du cadre, le film confirme qu’un anti-héros peut devenir aussi populaire qu’un type en cape et en slip-paquet. Que la valeur peut attendre le nombre des années. Et que les meilleures comédies s’inspirent souvent de la vie. Sur ces paroles pleines de sagesse, je vous laisse. J’ai une partie de bowling sur le feu et un White Russian au frais…

THE BIG LEBOWSKI (1998) de Joel et Ethan Coen.
Avec Jeff Bridges, John Goodman, Julianne Moore, Steve Buscemi, John Turturro, David Huddleston, Philip Seymour Hoffman, Sam Elliott, Ben Gazzara, David Thewlis…
Scénario : Joel et Ethan Coen. Musique : Carter Burwell.
Crédits photos : © Polygram Filmed Entertainment & Working Title Films
Je crois que c’est avec ce film que je suis devenue accroc à Jeff Bridges 😉 On a vu pire comme maladie !
Excellent billet (comme d’hab’ oserais-je dire) qui donne envie de se jeter sur le DVD et d’en reprendre une petite dose 🙂
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Merci chère Potzi 😉
Dude addict ! Oui, on a vu bien pire 😀
C’est un film à consommer sans modération et qui fait un bien fou par les temps qui court. Pour le Jeff, cela faisait déjà quelques films que je le suivais. Il est excellent aussi dans STARMAN et dans le thriller oublié À DOUBLE TRANCHANT. Et si tu ne l’as pas encore vu, je te recommande LE CANARDEUR avec Clint Ristourne… Mais c’est vrai que le rôle du Dude l’a sacralisé et rendu indispensable pour de nombreux fans.
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Disons que c’est son premier film que je voyais au ciné et forcément, grand écran oblige, les émotions sont d’autant plus fortes 😉 J’ai vu Le Canardeur et À double tranchant (Glenn Close ♥) mais pas Starman (chut ! il ne faut pas le dire au Nio !)
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Oui, je comprends bien 😉
STARMAN devrait te plaire, j’en suis sûr !
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