2 films de François Truffaut

Il y a tant de films de François Truffaut que j’aimerai évoquer dans ce blog. Et cela va se faire, soyez-en sûrs ! Mais pour commencer, le ciné-club du bric-à-brac de Potzina me donnent l’occasion d’aborder 2 films parmi les plus célèbres du cinéaste. Avec pour thèmes les œuvres évoquants le cinéma ou le théâtre, je vous propose, avec LA NUIT AMÉRICAINE et LE DERNIER MÉTRO, une double chronique où les films sont indéniablement magiques.

NB : Je réprouve les spoilers mais l’évocation de ces deux films ne se fera pas sans quelques « révélations ». Donc, si vous ne les avez jamais vu, vous voilà prévenus…

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LA NUIT AMÉRICAINE

LA NUIT AMÉRICAINE est, avec la série des Antoine Doinel, l’une de mes premières découvertes du cinéma de François Truffaut. Une « mise en abyme » cinématographique. Un film sur un film. L’histoire d’un tournage et ses « petites contrariétés » que la voix off du cinéaste rapproche d’un documentaire tragi-comique, ironique mais jamais aigri. Truffaut vivait à 200% pour son art et cela se ressent dès la scène d’introduction… où l’on découvre progressivement que l’on assiste au tournage d’un film !

Comme l’évoque Ferrand, le metteur en scène joué par François Truffaut, faire un film ressemble à un beau voyage qui vire au cauchemar au fur et à mesure que les problèmes s’accumulent. Rien n’est épargné au metteur-en-scène et à son équipe.

La star anglaise du film, Julie Baker (Jacqueline Bisset), sort d’une dépression et met sous tension la production et les assureurs. Tout le monde est prêt à tout pour satisfaire le moindre de ses caprices, jusqu’à lui chercher du beurre en motte… parce qu’elle le demande ! Le jeune acteur Alphonse (Jean-Pierre Léaud) se demande sans cesse si « les femmes sont magiques », perturbé par sa compagne frivole Liliane (Dani), stagiaire sur le film, et sa partenaire Julie. Face à la relève, les stars vieillissantes Alexandre et Séverine (Jean-Pierre Aumont et Valentina Cortese) ralentissent le tournage par leurs problèmes de mémoire et de boisson. L’actrice Stacey (Alexandra Stewart) est enceinte et tente vainement de le dissimuler…

Les problèmes techniques ne sont pas en reste : le laboratoire de développement brûle une partie des scènes tournées; des répliques sont écrites sur le décor pour soutenir Séverine et ses pertes de mémoire; un chat donne du fil à retordre à Ferrand lors d’une scène qu’il faut recommencer plusieurs fois… Et les vies privées de chaque protagoniste sont des plus compliquées quand elles ne virent pas au drame.

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Curieusement, et malgré ses multiples ressorts problématiques et tragiques, LA NUIT AMÉRICAINE ne se voit jamais comme un drame. Truffaut donne à son film un rythme alerte, soutenu par la musique de George Delerue, et des touches de comédie décalées et ironiques. Il mêle la réalité à la fiction et procure ce sentiment de vertige où l’on ne sait plus vraiment ce qui est factice ou vrai, avec toutefois cette conscience d’assister à une mise-en-scène de la réalité.

LA NUIT AMÉRICAINE reste bien sûr une véritable déclaration d’amour du cinéaste pour le 7ème art. Et plus précisément pour les techniciens qui, à l’aide de quelques artifices hors champs et du fameux système D, font des miracles. Ce sont ces bougies truquées qui éclairent une scène à l’aide d’un dispositif électrique, dissimulé dans chacune d’elle. C’est cette neige carbonique, rendue plus réaliste donc « plus sale », par l’accessoiriste Bernard (Bernard Menez). C’est cette doublure qui, de dos, remplace Alexandre, tué dans un accident.

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Le film est aussi un hommage aux studios de La Victorine, lieu mythique près de Nice, devenu les studios Riviera et ayant accueilli de nombreux classiques comme LES ENFANTS DU PARADIS ou MON ONCLE. Une anecdote, sur le tournage de RENCONTRES DU 3ème TYPE de Steven Spielberg, raconte que François Truffaut, en découvrant le décor minutieux d’une petite chambre d’hôtel, dans un coin de studio, aurait dit, visiblement ravi : « Voilà ce que c’est un vrai décor de cinéma ! ». Emballé par cette recréation de la réalité face au gigantisme de certains décors et effets spéciaux prévus pour visualiser l’impensable, le cinéaste témoignait de cet amour pour « l’artifice intimiste », pour cette façon artisanale de recréer la réalité pour la rendre plus belle et pratique.

Curieux pour un metteur-en-scène issu d’un mouvement de jeunes auteurs, désireux de s’éloigner d’un cinéma « prisonnier » des studios en filmant dans les rues, et caméra à l’épaule, les errances de jeunes acteurs encore inconnus. Un début de réponse peut déjà se trouver dans le titre même du film, rappelant ce trucage consistant à ajouter à l’objectif d’une caméra un filtre bleu pour donner à une séquence, filmée en plein jour, l’apparence d’une scène de nuit.

D’autres indices viennent des réflexions et répliques du cinéaste. Une publicité des années 70 disait : « Quand on aime la vie, on va au cinéma ». Truffaut y répondait par la négative, affirmant qu’il n’aurait jamais fait de cinéma s’il avait aimé la vie. Soutenant cette déclaration, l’un des dialogues de LA NUIT AMÉRICAINE, venant du personnage même de Ferrand / Truffaut, dit : « Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Des gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma. »

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LA NUIT AMÉRICAINE (1973) de et avec François Truffaut.
Avec Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Léaud, Jean-Pierre Aumont, Valentina Cortese, Nathalie Baye, Dani, Bernard Menez, Jean-François Stévenin…
Scénario : François Truffaut, Jean-Louis Richard et Suzanne Schiffman. Musique : George Delerue. Oscar du meilleur film étranger et Bafta du meilleur film en 1974.

Crédits Photos : © Les Films Du Carrosse.


LE DERNIER MÉTRO

Près de 10 ans après avoir abordé l’envers du décor au cinéma, François Truffaut nous plonge, au propre comme au figuré, dans les coulisses du théâtre. À Paris au début des années 40, sous l’occupation allemande, Lucas Steiner (Heinz Bennent), metteur en scène et auteur d’origine juive, a quitté la France. Il a laissé la direction de son théâtre à sa femme Marion (Catherine Deneuve). Aidée par le metteur en scène Jean-Louis Cottins (Jean Poiret) et les techniciens, celle-ci prépare la dernière pièce écrite par son époux. Partagée entre les restrictions de l’époque, les chroniques assassines et antisémites du critique Daxiat (Jean-Louis Richard) et son attirance pour le jeune premier Bernard Granger (Gérard Depardieu), Marion cache aux yeux de tous un lourd secret : Lucas se terre dans les sous-sols du théâtre…

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On retrouve dans LE DERNIER MÉTRO l’amour que portait Truffaut pour la vie d’artiste. S’il n’est plus question ici de cinéma, le cinéaste aborde à nouveau les affres de la création, les problèmes liés au casting et à la mise-en-scène, ce qui se trame en coulisse à l’insu du public, la préparation des costumes et des décors…

Le contexte n’est plus le même. L’époque trouble de l’occupation, durant la seconde Guerre Mondiale, donne une gravité bien plus profonde au récit. Truffaut nous parle d’hommes et de femmes vivant au quotidien dans un monde de terreur et de suspicion. Si les préparatifs de la première d’une pièce de théâtre permettent aux protagonistes « d’échapper » à l’univers tragique et bien réel qui les entoure, l’enjeu n’a évidemment rien à voir avec les drames quotidiens que vivent les personnages de LA NUIT AMÉRICAINE. Mais à nouveau, Truffaut donne à son film une énergie qui évite de s’appesantir.

Pas question, bien sûr, d’aborder cette période sombre de l’Histoire sous un ton enjoué de comédie boulevardière. Ni de prétendre que les français prenaient du bon temps sous l’occupation allemande ! Le cinéaste s’appuie sur ses souvenirs d’enfance et, s’il évite le drame à outrance, il parsème son film de scènes et moments dramatiques inoubliables : la jeune fille qui cache son étoile jaune sous son écharpe; la scène de l’église où, sous les chants d’une chorale, un jeune résistant est embarqué par la gestapo; Lucas Steiner évoquant, à bout de nerfs, les articles et campagnes publicitaires anti-juives…

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L’humour n’est pas ignoré pour autant. Il y a du recul et de la légèreté dans plusieurs scènes et répliques du DERNIER MÉTRO et ça n’est jamais déplacé. Comme pour LA NUIT AMÉRICAINE, François Truffaut trouve le parfait équilibre, réalisant une tragi-comédie entre film d’auteur et film populaire, attractive et sans temps morts.

Il en ressort une facilité déconcertante à créer une œuvre à la mécanique huilée comme une horloge. LE DERNIER MÉTRO se voit et se revoit aussi comme un suspense, un « polar » et une histoire d’amour contrariée. Et derrière un récit axé sur le monde du théâtre, Truffaut nous parle à nouveau de ce 7ème art qu’il aime tant et magnifie la vie.

Enfin, s’il ne s’agit pas du dernier film du cinéaste, LE DERNIER MÉTRO prend les attributs d’une œuvre ultime où l’auteur se retourne sur son parcours, revenant sur sa carrière à l’aide de multiples clins d’œil complices. Il y a ces répliques entre Deneuve et Depardieu, reprises de LA SIRÈNE DU MISSISSIPI (« T’aimer est une joie et une souffrance »). Ce fétichisme pour les jambes des femmes, « arpentant la terre comme des compas » dans L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES, avec la scène où les bas sont remplacés par de la teinture.

Et puis il y a cette ultime référence où Marion salue le public entourée des 2 hommes de sa vie, Bernard et Lucas, telle l’héroïne de JULES ET JIM, irrésolue à en aimer un au détriment de l’autre. François Truffaut semble salué ceux qui l’ont suivi depuis le début, leur donnant une dernière note d’espoir et de vie passionnée.

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LE DERNIER MÉTRO (1980) de François Truffaut.
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Heinz Bennent, Jean Poiret, Andréa Ferréol, Sabine Haudepin, Jean-Louis Richard, Maurice Risch…
Scénario : François Truffaut, Suzanne Schiffman et Jean-Claude Grumberg. Musique : George Delerue. 10 Césars en 1981 dont meilleurs film, scénario et réalisateur.

Crédits Photos : © Les Films Du Carrosse / SFP / TF1 Films Productions / Gaumont.

Un article « Films sur le théâtre ou sur le cinéma » associé au Ciné Club du BRIC-À-BRAC DE POTZINA à découvrir en cliquant le lien !

 


BONUS

Un lien vers l’album VIVEMENT TRUFFAUT !, collection des plus belles musiques de films du réalisateur dont plusieurs compositions de George Delerue, son complice sur LA NUIT AMÉRICAINE et LE DERNIER MÉTRO.

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10 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. potzina dit :

    Clap ! Clap ! Clap ! Très beau billet mon huggy 😀 J’adore ces doubles chroniques 🙂 J’espérais bien qu’un membre parlerait au moins de LA NUIT AMÉRICAINE qui est probablement le film ultime en matière de coulisses sur le ciné. J’adore ce film, il est bouillonnant, coloré, drôle et émouvant. Une vraie pépite !
    Et j’adore aussi LE DERNIER MÉTRO, son histoire d’amour déchirante, Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, la lumière… En dehors de la série des Doisnel, je crois qu’il s’agit des deux films de Truffaut que j’ai le plus vu.

    Et merci beaucoup pour le lien vers l’album 🙂

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    1. My pleasure baby 😉
      Et c’est toujours un plaisir de revoir et d’évoquer Truffaut. Comme toi, j’adore aussi les Doinel et je compte bien en parler prochainement…

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  2. niolynes dit :

    « Qu’est-ce que c’est que ce cinéma ? Qu’est-ce que c’est que ce métier où tout le monde couche avec tout le monde ? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment. Mais qu’est-ce que c’est ? Vous trouvez ça normal ? »

    😀

    J’aime beaucoup ces 2 Truffauts, je n’ai découvert La nuit américaine que récemment cette année, mais je ne pouvais passer à côté. Quand au Dernier métro, c’est aussi bon. Ils ne font (pas encore ?) partie de mes préférés du cinéaste (un certain Doinel avec Les 400 coups passe avant) mais c’est que du bonheur ! Merci pour cette chouette double chronique !

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    1. Grand merci Nio, content que ça t’ait plu 🙂
      Oui, moi aussi j’ai un faible pour la saga Antoine Doinel qui « ne se mouche jamais dans du papier » ! Je compte bien y revenir sur le blog… Ce que j’aime dans LE DERNIER MÉTRO et LA NUIT AMÉRICAINE, c’est cette façon ludique de filmer que l’on ne retrouve pas toujours chez Truffaut, ce petit côté léger derrière le drame. Ce qui ne veut pas dire que les autres films ne comptent pas pour moi, bien sûr…

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  3. Bravo pour ces deux films choisis. Comment ne pas avoir pensé à la nuit américaine. Il est vrai que dès que j’ai lu le thème j’avais pensé au dernier métro mais comme tu l’as décrit c’est tellement bien fait que je ne regrette pas d’avoir choisi un autre film. Un très beau billet. Bon week end

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    1. Merci beaucoup Dame Skarlette ! Bon week-end à toi aussi 😉

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  4. coralinelambert dit :

    J’avais beaucoup aimé le Dernier métro adolescente… un peu moins maintenant. Jamais vu la Nuit américaine, cependant Jacqueline Bisset mérite à elle seule le détour!

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