Revoir LE MAGNIFIQUE

Bien avant la version délirante d’OSS 117 avec Jean Dujardin, Jean-Paul Belmondo et Philippe de Broca nous offraient un pur bijou d’irrévérence avec LE MAGNIFIQUE, parodie loufoque et démontage en règle des espions de toutes sortes, de James Bond à SAS. Retour sur une comédie française réussie (si si, ça existe !), dont le terme de « film culte » est franchement mérité.

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INCOMPATIBILITÉ D’HUMOUR

En France en 1973, Francis Veber, futur réalisateur de LA CHÈVRE et du PLACARD, et bien sûr auteur de pièces à succès comme LE DÎNER DE CONS, est déjà reconnu pour sa qualité d’écriture sur des comédies comme L’EMMERDEUR d’Edouard Molinaro ou LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE d’Yves Robert. Et il a déjà fait le « script doctor » sur plusieurs films comme IL ÉTAIT UNE FOIS UN FLIC de Georges Lautner.

Il vient de finir un scénario très personnel, inspiré de ses souvenirs (et difficultés) de jeune auteur et mêlant réalité et fiction. Initialement intitulé “Comment détruire la réputation du plus célèbre agent secret du Monde?”, le récit plaît à Alexandre Mnouchkine et ses associés, dirigeants de la société de production Ariane Films. La réalisation du film est proposé à Philippe de Broca, grand habitué de la comédie qui sort d’un échec avec CHÈRE LOUISE, une incursion dans le drame qui n’a pas trouvé son public malgré Jeanne Moreau au casting et une présentation à Cannes.

De son côté, Jean-Paul Belmondo vient de tourner L’HÉRITIER de Philippe Labro. De Broca lui propose d’être la vedette de sa prochaine réalisation. Par amitié et dans sa probable logique d’alterner « film sérieux » et comédies, l’acteur accepte la proposition du cinéaste avec qui il a déjà tourné 3 films (CARTOUCHE, L’HOMME DE RIO et LES TRIBULATIONS D’UN CHINOIS EN CHINE).

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Retitré LE MAGNIFIQUE, le script est remanié conjointement par Veber et de Broca. Mais les 2 hommes ne parviennent pas à s’entendre sur la direction à prendre. Le réalisateur du ROI DE CŒUR souhaite approfondir le personnage de Christine / Tatiana, et donner de l’importance à l’histoire d’amour, quand l’auteur du PLACARD ne veut rien modifier de son récit. Philippe de Broca est bientôt soutenu par Jean-Paul Rappeneau et Daniel Boulanger qui l’aideront dans sa démarche de réécriture.

Francis Veber ne souhaitant pas être associé à une histoire qu’il ne reconnaît plus, il demandera à retirer son nom du générique, tant au début du film qu’à la fin. Plus tard, il évoquera cette expérience comme l’une des pires de sa carrière, évoquant sa mésentente avec De Broca comme une « incompatibilité d’humour ».

UN CASTING INTERNATIONAL

Le producteur Alexandre Mnouchkine insiste pour engager la superbe Jacqueline Bisset pour le premier rôle féminin. Vu entre autre dans BULLITT, l’actrice britannique sort à peine du tournage de LA NUIT AMÉRICAINE de François Truffaut et l’enchaînement des 2 films, diamétralement opposés, contribuera à accentuer sa popularité auprès d’un large public.

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Coproduction franco-italienne oblige, c’est l’acteur Vittorio Caprioli, venu du théâtre et déjà vu dans ZAZIE DANS LE MÉTRO, qui incarnera le double rôle de Charron / Karpov, éditeur snob de François Merlin et ennemi juré de Bob Saint-Clar. Pour doubler le fort accent de Caprioli, on fait appel à l’acteur Georges Aminel, grand nom du théâtre et du doublage en France. Pour rappel « sonore », on lui doit, entre autres, les voix françaises de Vittorio Gassman sur de nombreux films mais aussi de Dark Vador sur la saga STAR WARS… et de Sylvestre / Grosminet auprès du canari Titi dans les cartoons des années 70 ! Toujours pour LE MAGNIFIQUE, Georges Aminel prêtera également sa voix à l’acteur Hans Meyer dans le rôle du Colonel Collins.

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Enfin, le reste du casting est complété par une belle brochette d’acteurs populaires dans les années 60/70 : Jean Lefebvre, célèbre pour ses rôles de pleutres dans LES TONTONS FLINGUEURS ou NE NOUS FÂCHONS PAS, le rôle de Pithivier dans la série des 7ème COMPAGNIE ou le personnage de Fougasse dans la série des GENDARME; Monique Tarbès dans le rôle de Mme Berger la femme de ménage, vue aussi dans TENDRE POULET ou à la télévision dans 1, RUE SÉSAME ou LES BRIGADES DU TIGRE; Mario David dans le rôle du flic myope, célèbre pour ses rôles de « malabars » abrutis dans OSCAR ou LES MALHEURS D’ALFRED; Raymond Gérôme dans le rôle du Général Pontaubert, comédien belge venu du théâtre pour lequel il joua le personnage de Sherlock Holmes et vu au cinéma dans AIMEZ-VOUS BRAHMS?, LA NUIT DES GÉNÉRAUX ou LE CERVEAU; Hubert Deschamps, oncle de Jérôme Deschamps, vu dans ZAZIE DANS LE MÉTRO, GARÇON! ou ASSOCIATION DE MALFAITEURS…

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ENTRE PARIS ET MEXICO

Le tournage du MAGNIFIQUE se partage entre le Mexique, pour les scènes extérieures où Merlin / Belmondo imaginent son roman en cours d’écriture, et le quartier du Marais et les studios d’Epinay à Paris pour les séquences réelles ou le repaire de Karpoff.

Durant la production du film au Mexique, Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo, nés la même année, fêtent leurs 40 ans en « mettant le feu » à l’hôtel où toute l’équipe est logée. Dans la folie générale, des membres du personnel et d’autres clients sont « invités » à plonger dans la piscine où trônent déjà une partie du mobilier ! Face à la générosité de la production quant aux dédomagements, la directrice prendra tout ça avec le sourire, invitant l’équipe de tournage à revenir quand elle le souhaite…

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Fidèle à sa réputation, Belmondo exécute lui-même la majorité des cascades… et se blesse de nombreuses fois durant le tournage, au Mexique comme à Paris. De son côté, de Broca doit composer avec les saisons. Alors que les repérages mexicains avaient été fait dans des conditions de végétations luxuriantes, le tournage commence dans les même régions… en pleine sécheresse, nécessitant « d’améliorer » le décor pour lui donner l’aspect glamour voulu ou de repenser certaines séquences. Du côté de la technique, plusieurs scènes doivent être retournées après que le laboratoire de développement ait accidentellement rayé la pellicule…

MUSIQUE, NON-SENS ET RÉPLIQUES

LE MAGNIFIQUE ne serait pas ce qu’il est sans l’excellente partition musicale signée Claude Bolling (LE JOUR ET L’HEURE, BORSALINO, LES BRIGADES DU TIGRE, ON NE MEURT QUE DEUX FOIS…) et le décalage hilarant de ses répliques.

Rythmée et parodiant à l’excès les airs tropicaux ou typiquement franchouillards, alternant les plages lounge et les séquences d’action, Bolling compose l’une de ses meilleures bande originale. Il n’oublie pas d’injecter de grands moments de romantisme pour les scènes illustrant la sublime Christine / Tatiana ou les moments intimistes entre Merlin et Christine.

Si le film de Philippe De Broca reste toujours aussi apprécié plus de 40 ans après sa sortie, c’est certainement lié à son humour absurde. Bien avant les parodies des ZAZ avec Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? ou des Nuls, LE MAGNIFIQUE s’aventure dans le non-sens, style plutôt ignoré des humoristes français de l’époque et plus proche des gags des britanniques Monthy Python ou, deux ans plus tard, des membres du “Saturday Night Live” comme Bill Murray ou John Belushi.

Les aventures schizophrènes de François Merlin / Bob Saint-Clar enchaînent ainsi les scènes les plus absurdes dès le début avec l’espion plongé dans une cabine téléphonique pour être dévoré par un requin, Saint-Clar répondant au téléphone tout en se battant avec ses ennemies ou abattant un adversaire planqué dans un cocotier d’un simple coup de feu tout en discutant “d’abeilles” avec Tatiana, le Colonel Collins écrasé dans sa voiture concassée mais poursuivant une conversation avec Saint-Clar…

L’aspect irréaliste des films d’espionnage alors en vogue est poussé à son paroxysme, donnant au MAGNIFIQUE une tonalité loufoque inédite lors de sa sortie mais toujours appréciée aujourd’hui.

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Liées à ces scènes délirantes, les répliques du film s’inscrivent elles aussi dans une absurdité totale. Clamés avec le plus grand sérieux par des acteurs amplifiants l’aspect incongru de la situation en déformant leurs voix, les dialogues du MAGNIFIQUE s’inscrivent parmi les plus délirants du cinéma.

Quelques exemples : devant les clients de l’hôtel éliminés par la dent imprégné de cyanure de Bob et flottant dans la piscine, l’agent-secret dit dans le plus grand sérieux « Je vais demander à la direction de changer l’eau »; la scène de la plage où Bob récite un poème de son cru à une Tatiana éblouie; Karpoff expliquant comment il va torturer Bob et Tatiana à l’aide d’un mécanisme tordu; Saint-Clar s’écriant “À qui Rodriguez téléphonait-il lorsque le requin est entré dans la cabine ?”…

DÉCALAGE ET PROFONDEUR

Sorti en novembre 73, LE MAGNIFIQUE connaîtra un beau succès public malgré le raz-de-marée provoqué par LES AVENTURES DE RABBI JACOB qui se taille la part du lion cette même année. Une réussite qui n’était pas si évidente dans un contexte et un pays plus habitué à un humour « classique » (je n’ai pas dit « basique »), touchant une plus large audience comprenant enfants et adultes comme les films avec Louis de Funès ou les Charlots. Seul à l’époque LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE avec Pierre Richard (avec déjà Francis Veber au scénario) s’aventure vers le terrain du détournement de l’espionnage mais sur une tonalité moins débridée.

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Le film de Philippe de Broca innove par ses glissements d’un univers à l’autre. Chaque environnement baigne dans une atmosphère vite identifiable – gris et pluvieux pour la réalité, ensoleillé et exotique pour le rêve – et les transitions d’un monde à l’autre sont plutôt originales pour l’époque (la femme de ménage passant l’aspirateur sur la plage, le bruit d’une arme qui devient celui d’une sonnerie de téléphone, une tache d’encre qui apparaît sur l’écran, etc…).

Belle idée également de donner aux acteurs la possibilité d’interpréter 2 personnages diamétralement opposés. Le petit écrivain François Merlin devient Bob Saint-Clar le magnifique quand la jeune étudiante intello Christine devient Tatiana la femme fatale à l’accent snob. Et toujours grâce à son imagination, Merlin règle ses comptes avec ceux qui l’emm… qui l’ennuient. Son éditeur devient le ridicule et sadique Karpoff, un plombier récalcitrant se fait mitrailler par Saint-Clar… Une façon de s’alléger l’esprit que nous avons tous un jour ou l’autre employé, romanciers ou pas !

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Enfin, LE MAGNIFIQUE ne serait pas ce qu’il est s’il n’incluait pas une touche d’émotion et de romantisme qui ne saute pas aux yeux à première vue. On la doit très certainement à de Broca, à cette manière d’émouvoir derrière le rire et que j’avais déjà évoqué pour L’HOMME DE RIO. Mais l’interprétation de Belmondo y est aussi pour quelque chose. Dans l’excès le plus total lorsqu’il joue le rôle de Bob Saint-Clar, il parvient à rendre touchant et crédible le personnage de François Merlin.

La scène où François parle de lui à Christine en évoquant ce que pourrait être réellement Saint-Clar, un homme de 40 ans “qui a toujours été seul”, apporte au MAGNIFIQUE une petite note de gravité qui prend tout son sens au fur et à mesure que le film s’achève. On a souvent parlé de Ian Fleming ayant créé James Bond comme une extension idéalisée de sa propre personnalité. Saint-Clar est l’homme que Merlin aurait souhaité être.

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Au final, semble dire de Broca, il vaut mieux rester soi-même et demeurer sincère que de rêver à une perfection loin d’être idyllique. L’écrivain parvient à séduire sa jeune voisine sans jouer un rôle. Et si la dernière image du MAGNIFIQUE, où François jette les pages de son manuscrit par la fenêtre aux côtés de Christine, s’impose en happy-end dans la plus pure tradition, elle nous invite aussi à croire au bonheur que nous décidons de vivre.


LE MAGNIFIQUE (1973) de Philippe de Broca.
Avec Jean-Paul Belmondo, Jacqueline Bisset, Vittorio Caprioli, Jean Lefebvre, Mario David, Raymond Gerôme, Monique Tarbès…
Musique : Claude Bolling.

Crédits photos : © Les Films Ariane / Compagnie commerciale française Cinématographique

BONUS

Un lien pour (re)découvrir la bande originale du film !

5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. niolynes dit :

    Fantastique chronique ! 😀
    J’adore ce film, je me souviens l’avoir pris en blu-ray dernièrement en même temps que l’Homme de Rio que lui, à l’époque, je n’avais encore jamais vu. Mais Le magnifique, quel délice ! Tu me redonnes envie de le voir encore et encore ! 😉

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    1. Grand merci Nio 🙂
      Oui, moi aussi j’adore ce film et depuis longtemps. Faudra que je réinvestisse dans sa version blu-ray, comme pour L’homme de Rio d’ailleurs… Et sinon, Le Magnifique repasse sur ARTE dimanche prochain 10 janvier !!

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  2. potzina dit :

    Je rejoins Nio, ton billet est excellent 😀 Il y a une éternité que je ne l’ai vu et ta chronique me donne envie de le revoir. Il me semble qu’il va passer sur Arte en Janvier, j’ai vu ça dans leur bande-annonce des programmes du mois 😀

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    1. potzina dit :

      Nos commentaires se sont télescopés, il passe donc Dimanche 😉

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    2. Merci beaucoup ma Potzi !! Oui, le film repasse ce dimanche 10 janvier 😀
      http://www.arte.tv/guide/fr/061661-000/le-magnifique

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