De la comédie française attachante et futée, du documentaire sans langue de bois et du polar vintage embrumé sont au menu de cette 13ème chronique de films en mode rapido !
LIBRE ET ASSOUPI (2014) de Benjamin Guedj
Après 10 ans d’études, Sébastien (Baptiste Lecaplain) n’a qu’un but dans la vie : ne rien faire ! Contempler le monde qui l’entoure ou lire un bouquin à l’horizontal sont ses deux principales activités. Mais dans un monde où l’individu n’existe que dans le travail, et face à ses deux co-locataires, l’organisée Anna (Charlotte Le Bon) et l’indécis Bruno (Félix Moati), Vincent va devoir faire des choix…
Faîtes le test. Si au cours d’une soirée vous rencontrez des individus pour la première fois, quelle sera leur première question une fois que les présentations d’usage seront passées (en général, le pack : bonjour + échanges de poignées de mains ou de bises + échanges des noms) ? Il y a de grandes chances pour que l’on vous demande ce que vous faîtes dans la vie ! Inutile de répondre “ben là, je te sers la main”. La question se porte sur votre profession.
Cela n’a rien d’innocent. On ne vous connaît pas encore mais on mesure votre “place” dans la société à travers le métier que vous pratiquez. Et par la même occasion, on procède à une comparaison, histoire de se rassurer ou de se remettre en question. Que vous soyez médecin, avocat, trapéziste, videur de truites ou fabricant de confettis, on ne s’adressera pas à vous de la même manière, comme si cet état de fait se plaçait au dessus du reste. Vous pouvez très bien avoir Bac + 12 et être une ordure finie, ce qui comptera le plus, dans un premier temps, sera votre activité professionnelle. En bref, votre échelon sociale.
Derrière de faux airs de comédie “bobo franco-branchouille”, LIBRE ET ASSOUPI est une fable humoristique, attachante et grinçante sur notre monde régi par la loi du marché. Pas question ici de tomber dans l’état des lieues dramatico-alarmistes. Le film de Benjamin Guedj, inspiré du roman de Romain Monnery, ne cherche qu’à évoquer notre monde moderne, fait de stages et de CDD à répétition, sur une tonalité décalée.
Autour de Vincent, (faux) glandeur interprété avec justesse par l’humoriste Baptiste Lecaplain, une galerie de personnages représentatifs de notre époque évolue comme autant de portraits au vinaigre doux : la belle Anna, réglée comme une horloge mais très seule; Bruno, vrai dilettante avide d’être dans la norme; Richard (Denis Podalydès), le conseiller Pole-Emploi tristoune et amateur de danse… Cette série de figures imposées n’évite pas quelques clichés mais leurs interprètes sont si talentueux que l’on ne peut que s’attacher à eux et faire la comparaison avec notre propre entourage.
Évidemment, LIBRE ET ASSOUPI est une critique douce-amère de notre riante société. Mais le film ne cherche pas à établir des camps. L’important, semble dire en substance le récit, n’est pas de travailler ou de ne rien faire mais de se s’épanouir en restant fidèle à ce que l’on est, sans chercher la futilité d’un modèle imposé par le regard des autres.
Constitué de multiples séquences et dialogues destinés à devenir culte (“Tu ne fiches plus rien, même tes cheveux ont arrêté de pousser !”), LIBRE ET ASSOUPI mérite sincèrement d’être découvert ou redécouvert, après un passage éclair en salles non mérité.
BANDE ANNONCE
WAKING SLEEPING BEAUTY (2009) de Don Hahn
La période de crise traversée par les studios Disney entre les années 80 et 90, époque d’échecs successifs, de remaniements et de doutes quant à l’opportunité de conserver le secteur de l’animation avant un retour du succès…
Don Hahn, l’initiateur de ce documentaire, sait de quoi il parle. Assistant réalisateur puis réalisateur et producteur pour Disney, il a connu les heures noires (les échecs artistiques et commerciaux de ROX ET ROUKY ou TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE) avant d’être en première lignes des triomphes de LA PETITE SIRÈNE ou LE ROI LION.
Sous la forme du rapport linéaire d’une crise comme en traversent tant d’entreprises de par le monde, le cinéaste offre un regard lucide sur une industrie où l’art tente tant bien que mal de se faire une place. Évoquant les faits qui ont conduit le pape de l’animation à envisager le pire – soit l’annulation pure et simple de son activité mère – sans haine mais sans langue de bois, ce qui est plutôt rare pour le signaler, WAKING SLEEPING BEAUTY se suit comme un thriller.
Un “polar” dont on connait la fin, certes, puisque les studios sont parvenus à sortir la tête de l’eau avec les réussites en chaîne de plusieurs de leurs productions, puis grâce entre autres aux triomphes des films Marvel et de la reprise récente de Lucasfilm. Mais ce récit à la fois cruel, impensable et ironique, agrémenté des témoignages et documents d’époque de ses principaux protagonistes, parvient à nous tenir en haleine.
On peut y voir, à leurs débuts, des personnalités devenues célèbres telles Tim Burton ou John Lasseter. Le documentaire revient aussi sur ces “hommes d’argent” qui ont été les témoins et les acteurs de cette époque tourmentée, tels Michael Eisner ou Jeffrey Katzenberg, prototypes du “money maker” plus efficaces dans le rendement que dans la création artistique et les rapports humains.
WAKING SLEEPING BEAUTY revient également sur les envies de grandeur de Walt Disney – la mise en place de parcs d’attraction et les films live – amenant les studios à négliger de plus en plus la branche “animation”. Quand le “plus” devient l’ennemi du “mieux”…
Passionnant, le documentaire de Don Hahn a le mérite de parler au plus grand nombre. Témoin des règles en vigueur dans l’univers oppressant du monde du travail, il ne s’inscrit pas uniquement dans un cadre lié au cinéma, mais nous fait comprendre comme la réalité économique a souvent le dernier mot sur les rêves et l’idéalisme, malgré un “happy end” un peu convenu.
Pour information, WAKING SLEEPING BEAUTY est disponible en VOSTF sur Netflix.
BANDE-ANNONCE
INHERENT VICE (2014) de Paul Thomas Anderson
En 1970, Larry “Doc” Sportello (Joaquin Phoenix), un détective privée hippie, se voit demander par son ex petite amie Shasta (Katherine Waterston) de retrouver le milliardaire Mickey Wolfmann (Eric Roberts). Il va plonger dans une sombre affaire, serré de près par le lieutenant de police “Bigfoot” Bjornsen (Josh Brolin)…
Une ambiance vintage 70’s pour un polar tortueux, présenté comme une comédie loufoque par la bande-annonce… J’ai cru pendant quelques temps qu’INHERENT VICE jouait dans la même cour que THE BIG LEBOWSKI. Monumentale erreur ! Là où le film culte des frères Coen se voit et se revoit avec le même plaisir, celui du pourtant brillant Paul Thomas Anderson (BOOGIE NIGHTS, MAGNOLIA, THERE WILL BE BLOOD…) s’est perdu dans les vapeurs enivrantes d’une puissante Marie-Jeanne.
Tiré du roman ”Vice caché” de l’insaisissable Thomas Pynchon, INHERENT VICE se noie rapidement dans une intrigue brumeuse et ennuyeuse. On sait depuis LE FAUCON MALTAIS ou LE GRAND SOMMEIL que les films noirs, inspirés de grands auteurs du polar comme Dashiell Hammett ou Raymond Chandler, présentent généralement des intrigues confuses. Leur intérêt vient très souvent de l’ambiance générale qu’ils dégagent, des figures imposées qu’ils présentent (le privée dur à cuir contre la femme fatale) et de leurs rebondissements réguliers, imposant des virages à 90° au récit.
Cherchant à mêler les codes du film noir avec ceux d’une reconstitution vintage soignée, INHERENT VICE n’a pas réussi à me captiver. La faute à un scénario étiré comme un vieux chewing-gum ? À une mise-en-scène sous anxiolytiques malgré une superbe photographie ? À des acteurs tombés dans la fumette pour être plus crédibles (Joaquin Phoenix dans un nouveau rôle de gentil mou dépassé par les évènements…) ?
Le casting est fabuleux avec, dans des rôles plus ou moins longs, Owen Wilson, Benicio del Toro, Reese Witherspoon, Josh Brolin, Martin Short… Époque libérée oblige, le film dégage une grande sensualité et parvient à retrouver l’ambiance générale du “flower power”, tout en en faisant une critique amère et bien loin de l’image “peace and love” (mais pas sur moi) que l’on s’évertue à imaginer avec regrets quand on ne l’a pas connu.
Long, trop long et vite confus, INHERENT VICE parvient difficilement à maintenir l’attention malgré quelques scènes réussies , des répliques et des personnages déjantés. Une déception en ce qui me concerne, probablement parce que j’en attendais beaucoup trop…
BANDE-ANNONCE
Crédits photos : © Warner Bros / Buena Vista Home Entertainment / Gaumont.