Nouvelles chroniques de films en mode rapido avec, au menu de ce 16ème numéro, un éternel amoureux, un sorcier qui joue les super-héros et un documentaire sur le plus célèbre des films qui n’ait jamais été réalisé.
L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES (1976) de François Truffaut
Qui était Bertrand, quadra solitaire et érudit, fuyant la compagnie des hommes une fois sa journée de travail terminée ? Flashback sur cet homme pour qui la vision et la présence des femmes est une nécessité absolue…

L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES commence par un enterrement, celui de Bertrand Morane (Charles Denner), personnage principal du film. Pas de spoilers dans ce que j’écris, le générique même du film démarre sur cette procession où le personnage de Geneviève (Brigitte Fossey) remarque que seules des femmes sont venus se recueillir. Mais que les choses soient claires : Truffaut ne fait pas ici l’apologie du séducteur lambda, encore moins du dragueur de plages ou de boîtes de nuit.
Cet homme qui aime les femmes les aime, tout simplement. Il n’est pas un collectionneur, même s’il se surprend lui-même à évoquer ses rencontres passées. C’est un être sensible et cruel à la fois. Parce que sa délicatesse envers la gente féminine est sincère, tout comme son besoin de solitude et son refus de s’attacher.

Il y a des titres de films qui résument à eux seuls un cinéaste. L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES est certainement l’une des œuvres les plus personnelles de François Truffaut. L’une de celles où le réalisateur issu de la Nouvelle Vague s’y révèle le plus, se cachant à peine derrière ce personnage d’homme irrésolu, d’éternel enfant pour qui les femmes sont à la fois mystérieuses et magiques. On pourra mal juger, avec un regard actuel, cet homme singulier et son « machisme » lorsqu’il parle des femmes. Mais il ne faut pas y voir de misogynie, je pense. Juste l’obsession d’un passionné, d’un « chercheur », d’un éternel amant d’un point de vue charnel comme d’un point de vue spirituel.
Le film est aussi l’occasion de revoir le magnifique Charles Denner dans l’un de ses meilleurs rôles, si ce n’est le meilleur. Cet acteur unique, vu entres autres chez Chabrol, Lelouch, Costa Gavras, Henri Verneuil et Philippe Labro, s’était imposé dans les années 60/70 par un physique loin des stéréotypes usuels en matière de séduction et une voix singulière. Il apportait à chacune de ses interprétations une profondeur et une sensibilité remarquable.
En jouant l’alter ego de Truffaut dans L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES, Denner ajoute au personnage une mélancolie et une touche d’enfance perdue, contribuant grandement à l’attachement que l’on ressent. Son Bertrand Morane est un être à la fois fragile, imprévisible et touchant. Un clin d’œil non dissimulé à François Truffaut ou un grand frère à Antoine Doinel dans une œuvre délicate qui devient, vers la fin, un hommage à la littérature.
DOCTOR STRANGE (2016) de Scott Derrickson
Brillant et arrogant chirurgien new-yorkais, Stephen Strange (Benedict Cumberbatch) survit à un spectaculaire accident de voiture qui le prive de l’usage de ses mains. Désespéré, il se rend au Nepal où un prêtre mystérieux, nommé « l’Ancien » (Tilda Swinton), lui révèle des pouvoirs insoupçonnés…

Un type assez odieux qui se rachète une conduite en acquérant des super pouvoirs… J’en entends dire « on a déjà vu ça » chez Marvel, comme chez DC Comics. Et, soyons honnêtes, ils n’ont pas tout à fait tort. DOCTOR STRANGE est une énième adaptation d’un des comics de la « Maison aux Idées » de Stan Lee. Inventé en 1963 par le dessinateur Steve Ditko, co-créateur avec Stan Lee de Spiderman, le personnage du Docteur Strange présente toutefois des variantes notables avec ses collègues capés.
Il ne se transforme pas en déchirant sa chemise, il n’a pas été piqué par une araignée radioactive, il ne vient pas d’une autre planète et ne porte pas une armure en fer. L’intêret de Strange vient de son traitement environnemental, soit un univers fait de magie, de sorcellerie et de dimensions parallèles. Jusqu’ici difficile à transposer à l’écran (sauf pour un pilote de série télé qui n’a finalement jamais vu le jour), la phénoménale évolution des effets spéciaux et l’attrait du public – malgré une évidente saturation – pour les films de super-héros ont rendu la chose possible, avec l’inévitable Benedict Cumberbatch.

Sans connaître sur le bout des doigts le comics d’origine, je peux vous dire pourtant que l’adaptation moderne du personnage et de ses origines est fidèle au matériau de base. Certes, le récit n’a rien de très original. On retrouve ici, à quelques détails près, les mêmes bases que l’on a déjà vu dans IRON MAN, par exemple. Le côté miliardaire sûr de lui et suffisant du personnage font d’ailleurs penser à Tony Stark. Les méchants sont très méchants. L’enjeu est la destruction de notre monde. Et après de multiples péripéties, le héros triomphe du mal (ah zut ! un spoiler).
Heureusement, le côté « magie et sorcellerie » de l’ensemble apporte un vent de fraîcheur pas désagréable qui donne à ce DOCTOR STRANGE son attrait premier. L’humour décalé signé Marvel est toujours de mise, bien sûr. Mais au delà de cette marque de fabrique qui devient un peu routinière, c’est bien la partie « étrange » et magique du film qui le rend intéressant. Les décors y sont destructurés à rendre jaloux Nolan et son INCEPTION. La perception cosmique de l’espace et du temps y est si délirante que l’on se dit que Ditko, en son temps, et les scénaristes d’aujourd’hui n’ont pas du fumer que des sans-filtres. Mais ce mélange particulier de Superman et Harry Potter s’avère une surprise agréable à défaut d’être inoubliable. Parfait en cette saison morose.
JODOROWSKY’S DUNE (2013) de Frank Pavich
Au milieu des années 70, le producteur Michel Seydoux et le cinéaste Alejandro Jodorowsky décident de porter à l’écran une adaptation du roman de science-fiction DUNE de Frank Herbert. Emballé par ce projet titanesque, l’artiste franco-chilien va s’entourer d’une équipe de créatifs venant d’horizons différents – Moebius, Dan O’Bannon, Chris Foss, Giger… – pour concrétiser son rêve démesuré…

Double aventure que ce documentaire et le projet de film qu’il retrace avec passion. À l’origine, il y a la rencontre entre une œuvre phare de la science-fiction, le roman DUNE de Frank Herbert, et un artiste franco-chilien «couteau-suisse», Alejandro Jodorowsky dit « Jodo », créateur aux multiples talents plus connu aujourd’hui pour ses réalisations cinématographiques et ses scénarios de bandes-dessinées. Après les échos favorables de ses deux films EL TOPO et LA MONTAGNE SACRÉE, Jodo se voit offrir par le producteur et distributeur Michel Seydoux de mettre en chantier le projet qu’il souhaite. Son choix se porte sur le pavé DUNE d’Herbert… sans que le bouillant artiste ne connaisse quoi que ce soit du livre !
Dès 1974-1975, Jodo se met en quête de ses « guerriers spirituels » comme il les nomme affectueusement. Soit de véritables artistes, des épées dans leurs domaines respectifs, capables de comprendre la vision créative du cinéaste et d’y apporter leurs griffes. Le dessinateur de BD Jean Giraud dit « Moebius » devient l’interprète graphique de Jodo, travaillant sur les recherches de costumes et sur le story-board du projet. Des artistes tels Dan O’Bannon, Chris Foss et H. R. Giger seront eux aussi mis à contribution pour élaborer décors et visions futuristes. Outre son propre fils Brontis Jodorowsky, alors âgé de 12 ans, qu’il envisage pour le rôle de Paul et qu’il soumet à un entraînement intensif aux arts martiaux durant 2 ans, Jodorowsky engage Orson Welles, Salvador Dali et Mick Jagger pour interpréter les personnages principaux du film. Pour la bande originale, les groupes Pink Floyd et Magma sont contactés et choisis. Excusez du peu…

Mais pour ce genre de défi séduisant et fou, l’argent reste le nerf de la guerre. Face à l’éxubérance du projet et de son cinéaste, les studios américains, seuls susceptibles de supporter le financement de cette superproduction, n’ont pas donné leur accord. Il faut également replacer le JODOROWSKY’S DUNE dans son contexte : en ce milieu des années 70, STAR WARS n’est pas encore sorti et l’engouement pour la SF au cinéma n’est pas à l’ordre du jour. De cette aventure ne subsiste qu’un énorme recueil créé par Jodorowsky, regroupant le story board de Moebius et les milliers d’ébauches de pré-production que l’on rêverait un jour d’acquérir lors d’une éventuelle publication collector. On peut toujours rêver…
De son côté, le documentaire de Frank Pavich, cinéaste et producteur américain, mit 3 ans à se concrétiser. Présenté à Cannes en 2013, il fut interdit de diffusion en France durant 3 autres années à la demande de la veuve de Jean « Moebius » Giraud sous prétexte que le film présentait des travaux de son défunt mari sans son autorisation. Le documentaire fut pourtant visible par des voies détournées avant de bénéficier en ce début 2016 d’une sortie nationale et, récemment, d’une sortie vidéo.

L’enthousiasme provoqué par ce JODOROWSKY’S DUNE vient, d’une part, de la grande richesse des témoignages recueillis auprès des protagonistes principaux du projet avorté et, d’autre part, de la leçon optimiste que l’on peut tirer du documentaire. Si cette ambitieuse réalisation n’a jamais vu le jour, elle a occasionné la rencontre de gens exceptionnels et de créations toutes aussi remarquables. Jodo et Moebius ont ainsi développé en BD la désormais fameuse saga de L’INCAL, donnant elle-même naissance à d’autres chefs-d’œuvres du 9ème art comme LA CASTE DES MÉTA-BARONS et LES TECHNOPÈRES. Dan O’Bannon et Giger contribuèrent grandement, quant à eux, à la réussite du ALIEN de Ridley Scott. Et il est évident qu’après avoir fait tourné son ébauche de scénario et de recherches graphiques, Jodo fit un cadeau des plus précieux et régulièrement pillé pour les films fantastiques des 40 années qui suivirent…
Le JODOROWSKY’S DUNE est donc à voir absolument pour cette porte sur l’imaginaire qu’il contribue grandement à réouvrir et le plaisir qu’il procure en nous prouvant qu’un véritable film est avant tout une œuvre de créatifs, faîte avec des tripes et du cœur.
Les films que tu cites sont tous des films que j’ai envie de voir surtout celui de Truffaut :).
Bisous à toi et à plus sur nos blogs respectifs!
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Ils sont à voir, chacun dans leur genre respectif 😉
Mais c’est vrai que celui de Truffaut est très beau et se bonifie avec le temps.
Bises Rose, @ +
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J’avoue que je n’ai pas du tout aimé l’Homme qui aimait les femmes. J’ai eu beaucoup de mal avec le personnage principal, que je trouve insupportable d’autocentrisme, de geignardise et de lourdeur avec les femmes (c’est à se demander ce qu’elles lui trouvent et ce n’est pas qu’une question d’époque, je l’ai vu avec ma maman qui avait tout autant envie de lui mettre des beignes, bon d’accord peut être pas autant, parce qu’elle aime bien Denner et ses yeux de chiens battus). Perso, je préfère le fanfaron Léaud dans La nuit américaine, qui n’est pas beaucoup moins macho, mais quand même beaucoup plus rigolo.
Je n’ai pas vu Doctor strange mais à l’occasion pourquoi pas, ne serait-ce que pour le casting.
Enfin, j’ai beaucoup aimé le Dune Jodorowsky, c’était pour moi une vraie mine de réflexions sur le cinéma. Je n’ ai probablement pas la même analyse que tout le monde sur ce film avorté, et la personnalité très spéciale de Jodo (et notamment sur le fameux « pillage » dans Alien contre lequel s’insurge Jorowsky, que je ne vois que comme une excellente et juste raison pour Dan O’Bannon et Giger de se réapproprier le travail formidable qu’ils avaient fait à perte – et les pertes pour O’Bannon ont été immenses- pour ce projet titanesque). Mais j’ai trouvé ce documentaire absolument fascinant.
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Pour le Truffaut… ce sont les goûts et les couleurs 🙂 Au risque de passer pour le pire des machos, toi et ta maman avaient réagi en tant que femmes. Et cela se comprend… Maintenant, ni Truffaut ni Denner n’en font un personnage totalement attachant ou parfait. Mais sincère, je pense.
Pour le Jodo Dune, oui, comme toi, j’ai parfois du mal à cerner la personnalité de Jodorowsky. C’est vrai qu’on ne peut pas parler de « pillage » que ce soit pour ALIEN ou pour d’autres films… puisque le DUNE de Jodo ne s’est pas fait ! Et je trouve comme toi qu’il est bien normal que O’Bannon et Giger aient pu rebondir sur le film de Ridley Scott… Reste que le projet a probablement « inspirer » de nombreux films par la suite. Jodorowsky, comme de nombreux artistes, a un ego plus large qu’une 4×3. Et cela se ressent aussi dans le doc. Mais son enthousiasme de jeune homme est vraiment emballant 😉
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