Revoir LES LIAISONS DANGEREUSES

Pour ceux et celles qui auraient manqué les épisodes précédents, un petit rappel du principe du Ciné-Club de Potzina. Il s’agit d’un groupe de blogueurs/blogueuses partageant la passion du 7ème art et poursuivant l’idée première de la blogueuse Potzina: chaque mois, l’un ou l’une d’entre eux anime le Ciné-Club en proposant un thème spécifique autour duquel les participants devront écrire un article.

Pour ce mois d’avril,  Romy du blog COSTUMES DE FILMS a choisi le thème du « film en costumes ». Une bonne occasion en ce qui me concerne pour revoir la plus belle adaptation – à mes yeux – du roman épistolaire de Choderlos de Laclos: LES LIAISONS DANGEREUSES, réalisée par le britannique Stephen Frears.

Du roman à la pièce

Le récit des jeux cruels de la Marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont doit son origine à Pierre Choderlos de Laclos, un officier et écrivain durant la Révolution Française. Militaire rêvant de gloire et d’honneur mais posté en garnison, Choderlos de Laclos trompait son ennui et ses frustrations dans l’écriture, se projetant avec LES LIAISONS DANGEREUSES, son œuvre la plus aboutie, dans un univers qu’il ne partageait pas. Écrit de 1778 à 1782 sous la forme d’un roman épistolaire, genre prisé entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, LES LIAISONS DANGEREUSES fut un exutoire pour son auteur, lui permettant d’y régler quelques comptes avec la noblesse et les femmes.

Grand succès dès sa publication, le roman de Choderlos de Laclos tombera quelque peu dans l’oubli au cours du XIXème siècle avant de susciter un nouvel engouement dès le début du XXème. Ça n’est pourtant qu’en 1959 qu’une première adaptation cinématographique voit le jour sous la direction de Roger Vadim. Transposition contemporaine du roman, le film est simplement intitulé LES LIAISONS DANGEREUSES 1960, avec un casting principalement composé de Gérard Philippe dans le rôle de Valmont et de Jeanne Moreau dans le rôle de Merteuil. En 1985, le dramaturge Christopher Hampton propose pour la première fois sa version théâtrale des LIAISONS DANGEREUSES avec Alan Rickman en Valmont et Lindsay Duncan en Merteuil. La pièce est un succès et son auteur se voit offrir d’en écrire l’adaptation pour le cinéma.

Un tournage dans les plus beaux châteaux de France

À la tête de cette version réalisée en 1988 et produite par les studios Warner Bros, le cinéaste anglais Stephen Frears s’éloigne de ses premières œuvres telles MY BEAUTIFUL LAUNDRETTE ou PRICK UP YOUR EARS qui ont pour toile de fond l’Angleterre de Margaret Tatcher. Pour sa première grosse production, le metteur-en-scène britannique dirige un casting prioritairement américain sur le sol français !

LES LIAISONS DANGEREUSES vont ainsi être tournées dans divers châteaux et demeures historiques d’Île-de-France, avec de superbes décors naturels pour les scènes intérieures et extérieures. La photographie du film dirigée par le célèbre et talentueux Philippe Rousselot (DIVA, ET AU MILIEU COULE UNE RIVIÈRE, LA REINE MARGOT, BIG FISH, LES ANIMAUX FANTASTIQUES…) se basera sur les œuvres du peintre Fragonard, un contemporain de Choderlos de Laclos dont il est dit que le roman l’inspira pour plusieurs de ses œuvres.

Casting haut de gamme et BO royale

Bien évidemment, près de 30 ans après sa sortie et au delà du soin apporté à l’image et à la reconstitution d’époque, ce qui éblouit encore dans cette superbe adaptation est son magnifique casting. Le trio formé par Glenn Close, John Malkovich et Michelle Pfeiffer paraît si évident qu’il est difficile d’imaginer d’autres comédiens pour les personnages.

Glenn Close s’est déjà imposée dans plusieurs films marquants (LE MONDE SELON GARP, LES COPAINS D’ABORD, LE MEILLEUR…) avant d’être consacrée par le succès commercial de LIAISON FATALE en 1987. Mélange de sourires assassins et de regards cruels derrière un « masque » de bonnes manières, sa brillante interprétation de la marquise de Merteuil, après son rôle de maîtresse délaissée et psychotique dans le film d’Adrian Lyne, la cantonna par la suite dans de nombreux rôles de garces machiavéliques ou de femmes autoritaires.

Issu du théâtre pour lequel il est aussi metteur en scène, John Malkovich avait déjà imposé sa présence et sa voix singulières dans LA DÉCHIRURE de Roland Joffé ou EMPIRE DU SOLEIL de Steven Spielberg avant de porter la perruque poudré et le charme vénéneux de Valmont.

Source de ses tourments, la candide Cécile de Volange est magnifiquement incarnée par la sublime Michelle Pfeiffer, déjà vu à l’époque dans SCARFACE de Brian De Palma, LADYHAWKE de Richard Donner, LES SORCIÈRES D’EASTWICK de George Miller ou VEUVE MAIS PAS TROP de Jonathan Demme. À côté de ces acteurs déjà reconnus, Uma Thurman et Keanu Reeves font leurs premières armes, après quelques rôles de second plan et bien avant les triomphes de KILL BILL et MATRIX.

LES LIAISONS DANGEREUSES est accompagnée d’une bande originale créée pour l’occasion par George Fenton, un compositeur anglais qui, à l’époque, avait déjà travaillé pour Neil Jordan sur LA COMPAGNIE DES LOUPS ou sur CRY FREEDOM de Richard Attenboough. S’imprégnant de l’ambiance musicale de l’époque, alternant la finesse du clavecin avec la puissance des cuivres, Fenton signe ici sa plus belle œuvre, teintée de mystère et de drame.

Un polar en costumes

À la cérémonie des Oscars de l’année 1989, LES LIAISONS DANGEREUSES obtiendront 3 récompenses: meilleur scénario adapté, meilleurs décors et meilleurs costumes. La réussite artistique du film de Stephen Frears tient en grande partie dans son traitement. Très respectueux du contexte de l’époque dans le soin apporté aux détails – richesse des costumes et décors – le film échappe fort heureusement aux défauts de nombreuses reconstitutions d’époque en abordant par le biais du thriller un sujet devenu classique.

Dès son générique et sa musique hautement dramatique, puis dans cette façon de nous présenter le couple machiavélique formé par Merteuil et Valmont avec ce « cérémonial de la toilette », le film de Stephen Frears installe un climat de tension derrière les apparences. La cruauté prend ici ses plus beaux atouts pour mieux dissimuler sa perfidie.

L’œuvre de Choderlos de Laclos prend toute sa teneur moralisatrice et la fable amère sur l’amour dont on ne peut se jouer prend des allures de polar en costumes. Au final, à ce jeu des faux semblants, tromperies et trahisons, le prix à payer est lourd et personne n’en sort gagnant.

À voir et revoir LES LIAISONS DANGEREUSES, on réalise combien cette œuvre écrite il y a près de 3 siècles est toujours d’actualité. Tombant dans leur propre piège, Valmont et Merteuil vont payer le prix fort et entraîner dans leur chute la pureté de Cécile de Volange. Les jeux de l’amour comme un dangereux numéro d’équilibriste où personne ne peut s’en sortir ? C’est ce que nous dit en substance Stephen Frears dans cette brillante adaptation.

En décembre 1989, soit 9 mois après la version de Frears, une autre adaptation du roman de Choderlos de Laclos, VALMONT réalisé par Milos Forman (VOL AU DESSU D’UN NID DE COUCOU, AMADEUS…) arrive sur les écrans français et connaît un sérieux échec compte tenu de son budget. Traité sur un ton volontairement plus léger et optimiste, le film fut la plus grosse déconvenue financière du producteur Claude Berri selon ses propres dires.

Sortie trop tardive de cette autre version face aux LIAISONS DANGEREUSES de Frears ou attraction et pouvoir supérieur du côté obscur ? La sincérité, aussi noire soit-elle, triomphe toujours…


LES LIAISONS DANGEREUSES (1988) de Stephen Frears
Avec Glenn Close, John Malkovich, Michelle Pfeiffer, Uma Thurman, Keanu Reeves…
Scénario: Christopher Hampton d’après sa propre pièce.
Musique: George Fenton.

Crédits photos: © Warner Bros


Bande-annonce

7 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Romy21 dit :

    Heureuse de lire ton article ! Je n’ai toujours pas vu ce film, qui fait pourtant partie de ma liste, en fait l’histoire ne me plaît pas vraiment mais comme c’est un classique et que les costumes ont l’air superbe et bien il faut que je me lance 🙂

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    1. Je te le recommande vivement ! Au delà de la reconstitution d’époque qui devrait te plaire, je pense, le film est brillant 😉

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  2. rp1989 dit :

    J’aime énormément le livre et toutes les adaptations qui ont pu en être faites et que j’ai vu. Stephen Frears est un réalisateur que j’aime beaucoup et cette version, géniale!
    Bisous à toi et à plus sur nos blogs respectifs!

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  3. Pour moi, la meilleure adaptation du roman épistolaire que j’ai pu voir, même s’il me manque encore un peu de subtilité sur la vision des personnages, et en particulier de La Merteuil, qui pour moi n’est pas qu’une garce.
    Je rêverais de voir une captation de l’adaptation scénique avec Rickman et Duncan qui sont 2 acteurs que j’adore

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    1. Je suis assez d’accord sur ce que tu dis sur la subtilité des personnages, c’est d’ailleurs ce qui a été le plus critiqué à la sortie du film, principalement bien sûr quant au jeu de Malkovich et Glenn Close. Leur interprétation vénéneuse donne pourtant tout son sel au film. Glenn Close, à la toute fin du film, parvient à rendre son personnage bouleversant…
      Pour ce qui est de la version théâtrale avec Alan Rickman, je n’ai trouvé que des photos sur le net. Mais il est possible qu’une captation existe à la vente en Grande-Bretagne…

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