Revoir BLADE RUNNER

Chef d’œuvre visionnaire, film culte, œuvre incontournable de la science-fiction au cinéma… les superlatifs mérités ne manquent pas pour évoquer BLADE RUNNER, classique de l’anticipation devenu en 35 ans une référence inégalée. Imposant Ridley Scott trois ans après ALIEN comme l’un des cinéastes les plus marquants du 7ème art et révélant le romancier Philip K. Dick auprès du plus grand nombre, le film fascine encore pour la beauté de ses images et son scénario envoutant. Retour sur l’une des œuvres les plus marquantes que le grand écran nous ait offert.

Philip K. Dick, génie parano

On ne cesse de le rappeler mais, à l’origine de BLADE RUNNER, se trouve le roman d’anticipation LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ÉLECTRIQUES ?. Son auteur, Philip K. Dick, n’était connu que d’un petit groupe d’amateurs de science-fiction lorsque le film de Ridley Scott sortit sur les écrans en 1982.

Né aux États-Unis en 1928, Philip K. Dick va connaître une existence douloureuse, marquée par les drames et les troubles psychologiques. Très jeune, la mort de sa soeur jumelle, Jane, et le divorce de ses parents quelques années plus tard l’amèneront à développer une grande culpabilité tout au long de sa vie. Au début des années 50, après des études de philosophie, il épousera en seconde noces une activiste d’extrême gauche. En plein maccarthysme, la jeune femme est fichée par le FBI qui demandera à Dick de la « surveiller ».

Ridley Scott et Philip K. Dick, en pleine pré-production de BLADE RUNNER.

Ses débuts de romancier de science-fiction ne sont guère concluants. Son style n’est pas encore affirmé et ses idées n’intéressent ni la critique ni le public, déroutés par les thèmes sombres et complotistes de l’écrivain, à une époque (les années 50) où la tendance est à l’optimisme et l’utopie. Cette suite de drames et de difficultés pousseront Dick dans une paranoïa que la prise d’amphétamines pour se maintenir en « forme », alors qu’il travaille essentiellement la nuit, n’améliore pas.

Le succès viendra enfin en 1962, avec la sortie de son roman LE MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU. Puis, en 1968, Philip K. Dick publie LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ÉLECTRIQUES? et UBIK, ce dernier étant considéré comme son chef d’œuvre par les connaisseurs. Mais les addictions aux drogues et sa vie privée instable, avec plusieurs mariages malheureux à son actif, poussent l’écrivain dans une profonde dépression. Il meurt en 1982 d’un accident vasculaire cérébral, peu de temps avant la sortie de BLADE RUNNER, sans savoir que son œuvre va influencer le monde littéraire et l’univers de la science-fiction, autour de ses thèmes de prédilections que sont la réalité de notre monde et la place de l’humain dans la société.

UN DÉVELOPPEMENT DIFFICILE

Alors que le roman vient à peine de sortir en cette fin des années 60, Hollywood souhaite l’adapter au cinéma. On évoque Martin Scorsese, un temps séduit par le projet avant qu’il ne l’abandonne. Suite au mécontentement de Philip K. Dick face aux adaptations proposées, le film peine à voir le jour. En 1977, l’acteur, scénariste et réalisateur Hampton Fancher acquiert les droits du roman et en écrit une adaptation pour une œuvre à petit budget, principalement axée sur une problématique écologique.

En 1980, Fancher veut également réaliser ce qui se nomme encore DANGEROUS DAYS mais le producteur britannique Michael Deeley (L’HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS, VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER…) l’amène à s’adresser à Ridley Scott, cinéaste issu de la publicité, auréolé du succès critique de DUELLISTES et du triomphe planétaire d’ALIEN.

Ridley Scott en plein repérage, dans le décor du film.

Scott, alors prévu pour réaliser DUNE, abandonne ce projet (réalisé au final par David Lynch) et débarque sur l’adaptation tirée de Philip K. Dick. Mais le script de Fancher ne lui plait pas et il demande au scénariste David Webb Peoples (LADYHAWKE, IMPITOYABLE, L’ARMÉE DES 12 SINGES…) de modifier le récit en revenant au roman d’origine. Hampton Fancher, vexé, quitte la production du film, renommé entretemps BLADE RUNNER, titre inspiré d’un autre auteur de SF, Alan E. Nourse, à la demande de Ridley Scott.

Au final, le script évoque un futur déshumanisé où une génération d’androïdes à l’apparence humaine, les Nexus-6, sont envoyés sur les lointaines colonies spatiales pour accomplir de lourdes tâches à la place des hommes et ne sont pourvus que d’une durée de vie limitée. Mais plusieurs d’entre eux parviennent à s’échapper d’une colonie et regagnent la Terre, menaçants les responsables de la Tyrell Corporation à l’origine de leur conception. Rick Deckard, un ex-membre d’une section de police nommée « Blade Runner », est réquisitionné pour retrouver les fugitifs et les éliminer.

casting sans erreurs…

Pour le rôle de Deckard, Dustin Hoffman, Al Pacino et Nick Nolte sont un temps envisagés. Révélé par STAR WARS et LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, Harrison Ford souhaite s’orienter vers des rôles « plus sérieux ». Parrainé par Steven Spielberg qui va appuyer sa candidature, l’acteur est choisi par la production comme une valeur sûre alors que sa carrière décolle enfin.

Rutger Hauer, Joe Turkel et Ridley Scott sur le tournage…

Pour le personnage charismatique et inquiétant de Roy Batty, Ridley Scott choisit sans hésiter l’acteur hollandais Rutger Hauer, vu auprès de Sylvester Stallone dans LES FAUCONS DE LA NUIT en 1981 et dans plusieurs films de  Paul Verhoeven. Les jeunes actrices Sean Young et Darryl Hannah sont retenues pour les rôles de la brune Rachel et de la blonde Pris.

La chanteuse et actrice Grace Jones est contactée pour interpréter la strip-teaseuse Zhora. Mais devant son refus, le personnage est confiée à Joanna Cassidy, issue de la télévision et que l’on retrouvera plus tard dans UNDER FIRE ou QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABBIT?

…TOURNAGE SANS BONHEUR

Filmé durant l’année 1981, BLADE RUNNER n’est pas un bon souvenir de tournage pour son réalisateur et son acteur principal. D’un côté, Ridley Scott tourne pour la première fois aux États-Unis – ALIEN a été entièrement filmé dans des studios britanniques – et son ingérence constante dans les différentes étapes de la création du film lui attire l’animosité des techniciens.

Harrison Ford, pour sa part, est désarçonné par l’absence d’indications de Scott. Cherchant à communiquer avec lui, l’acteur prend la froideur du réalisateur pour une forme de mépris quand celui-ci se défend de le laisser faire son job, comme un professionnel qui n’a pas besoin de conseils. Chaude ambiance sur le plateau que l’atmosphère nocturne et pluvieuse n’arrange pas vraiment…

Ambiance tendue entre la star du film et son réalisateur…

Seul Rutger Hauer va apprécier cette « liberté » qui lui donnera l’occasion d’improviser sur la magnifique séquence finale, lorsque le personnage de Batty évoque son existence qui prend fin. « Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. » De mémoire de cinéphile, on a rarement – voire jamais – fait mieux.

B.O. ET DESIGN ENVOUTANTS

Grand fan de la revue METAL HURLANT et des créations de Moebius / Jean Giraud, Ridley Scott a déjà travaillé avec l’artiste français sur ALIEN et le contacte pour BLADE RUNNER. Mais celui-ci n’est pas disponible et Syd Mead, un designer industriel ayant déjà œuvré sur STAR TREK THE MOTION PICTURE et que l’on retrouvera sur TRON, ALIENS et 2010, est engagé pour définir le futur noir du film.

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Croquis du Spinner, véhicule volant emblématique de BLADE RUNNER, par Syd Mead.

Douglas Trumbull, grand spécialiste des effets visuels sur des œuvres inoubliables comme 2001 L’ODYSSÉE DE L’ESPACE ou RENCONTRES DU 3ème TYPE, est engagé pour gérer les sfx du film, apportant sa touche immédiatement reconnaissable sur le vol des Spinners et les tours pyramidales du Los Angeles futuriste.

Douglas Trumbull pose sur l’une des immenses maquettes du film.

Alors qu’il vient de remporter un Oscar pour la bande originale du film LES CHARIOTS DE FEU en 1980, le compositeur grec Vangelis – de son vrai nom Evángelos Odysséas Papathanassíou – est choisi pour créer la BO de BLADE RUNNER. Reconnu pour être l’un des pionniers de la musique électronique, après des débuts dans le Jazz et dans le groupe rock-psychédélique Aphrodite’s Child auprès de son ami Demis Roussos, Vangelis va créé une véritable ambiance sonore indissociable du film, chef d’œuvre envoutant et contribuant sans nul doute à l’impact exercé par BLADE RUNNER.

Curieusement, malgré la beauté de sa composition, aucun album ne sera édité lors de la sortie du film. Une version orchestrale réalisée par The New American Orchestra sera commercialisée et même réutilisée quelques années plus tard par Ridley Scott pour illustrer son polar romantique TRAQUÉE. Ça n’est que 12 ans plus tard, en 1994, que la BO originale de Vangelis sera disponible dans le commerce, comprenant la musique du film et des titres inédits.EnregistrerEnregistrer

Le compositeur Vangelis à l’époque de BLADE RUNNER.
VERSIONS MULTIPLES

Lors des projections tests, BLADE RUNNER ne convainc pas le public. Agacé par la maniaquerie de Ridley Scott, ayant entraîné des dépassements de budget, les producteurs du film exigent de couper plusieurs séquences pour raccourcir sa durée et, croyant que le public ne comprendra pas les enjeux du récit, font enregistrer une voix off par Harrison Ford afin de « commenter » les réactions de son personnage. L’acteur va s’éxécuter à contre-cœur, enregistrant son texte d’une voix monocorde.

Sean Young, répliquante fatale sur le tournage de BLADE RUNNER…

La fin initiale étant jugée trop sombre, de nouvelles séquences sont tournées avec Ford et Sean Young, mêlées à des stock shots du SHINING de Stanley Kubrick, dans le but d’imposer une fin heureuse. En 1992, une nouvelle sortie est programmée. Nommée BLADE RUNNER-DIRECTOR’S CUT, cette version ne comportait ni le « happy end », ni la voix off.

En 2007, une nouvelle version nommée BLADE RUNNER-FINAL CUT, comprenant entre autres quelques corrections de plans, va être éditée en vidéo. Mais, à ce jour, on compte pas moins de 5 versions différentes du film, entre les avant-premières et le montage définitif.

ÉCHEC, CULTE, INFLUENCE ET THÉORIES
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Aussi curieux que cela paraisse aujourd’hui, BLADE RUNNER est un échec commercial et critique à sa sortie en 1982. Jugé lent et ennuyeux par l’ensemble des médias américains et français, décontenancés par sa mélancolie et son aspect contemplatif, le film ne reçoit que quelques louanges pour son design.

BLADE RUNNER, entre le polar noir et l’anticipation.

Comme toute œuvre culte qui se respecte, BLADE RUNNER attirera l’attention et les louanges avec le temps. 10 ans après sa sortie initiale, en 1992, lors de la sortie du « director’s cut », le film est déjà apprécié à sa juste valeur. On lui reconnaît une influence certaine sur ce que l’on nomme le « cyberpunk », une vision pessimiste et ultra-technologique du futur popularisée par des auteurs de SF comme William Gibson et nommée pour la première fois en 1984.

Le manga GHOST IN THE SHELL, créé en 1989 par Masamune Shirow puis adapté en un long-métrage d’animation par Mamoru Oshii, présente de nombreux éléments inspirés de BLADE RUNNER dans son traitement visuel comme dans ses questions philosophiques et poétiques.EnregistrerEnregistrerEnregistrerEnregistrerEnregistrerEnregistrer

GHOST IN THE SHELL de Mamoru Oshii (1995)

Les influences du « film noir » et des histoires de détectives privés à la Philip Marlowe, sont enfin reconnus : alors que le film était appréhendé à tort à sa sortie comme un pur film d’action et de science-fiction en 1982, son évident traitement comme un polar philosophique et futuriste est enfin admis par une critique repentante. De la même manière qu’il y a un « avant » et un « après » pour des œuvres phares comme le 2001 de Kubrick ou STAR WARS, BLADE RUNNER va s’imposer comme un film évènement et un véritable modèle.

L’autre aspect important suscité par le film est la reconnaissance (tardive) de Philip K. Dick comme un grand écrivain de science-fiction. Dans la foulée de BLADE RUNNER, les réalisations inspirées de ses écrits s’enchaînent : TOTAL RECALL, PLANÈTE HURLANTE, MINORITY REPORT…

Société high tech déshumanisée et paranoïa dans MINORITY REPORT de Steven Spielberg (2002).

Enfin, l’arrivée sur les écrans en 1992 de la version DIRECTOR’S CUT va attiser les complotistes de tous poils sur les origines de Deckard. Dans une séquence onirique, le personnage rêve d’une licorne, élément anodin en apparence si ce n’est qu’il prend une réelle importance dans la nouvelle fin du film : Deckard est-il lui même un répliquant qui s’ignore ? Les membres du tournage et les fans ont chacun leur propre réponse quant à cette question essentielle…

Visuellement bluffant plus de 30 ans après sa sortie initiale, œuvre à la fois sombre et atmosphérique, véritable réflexion sur l’existence et la place de l’homme dans le futur, BLADE RUNNER n’en finit pas de fasciner. Se bonifiant tel un grand cru, le chef d’œuvre de Ridley Scott est le résultat d’une alchimie jamais égalée depuis, d’une rencontre de talents et de hasards amenant à un film puissant qui ne finira pas dans l’oubli comme les larmes dans la pluie.


BLADE RUNNER (1982) de Ridley Scott.
Avec Harrison Ford, Sean Young, Rutger Hauer, Daryl Hannah, Edward James Olmos, Joanna Cassidy, William Sanderson, Joe Turkel…
Scénario : Hampton Fancher et David Webb Peoples d’après « Les Androïdes Rêvent-ils De Moutons Électriques » de Philip K. Dick.
Musique : Vangelis.

Crédits photos : © The Ladd Company / Warner Bros


BANDE-ANNONCE
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BONUS

À (re)découvrir l’envoutante bande originale du film signée Vangelis

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6 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Isa Poitou dit :

    Je n’ai vu Blade Runner qu’une seule fois mais il m’a vraiment marqué. J’aimerai le revoir :).

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, n’hésite pas, c’est un film qui mérite d’être vu et revu pour pleinement l’apprécier !

      Aimé par 1 personne

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