Si la comédie loufoque et la parodie sont encore considérées en France comme les parents pauvres du 7ème art – dénigrées ou mal employées – elles font depuis longtemps les beaux jours des productions américaines et anglo-saxonnes, à la télévision comme au cinéma.
En Grande-Bretagne, dès la fin des années 60 puis dans les années 70, les Monty Python ont laissé libre court à leur imagination débridée avec l’émission FLYING CIRCUS puis avec des films comme SACRÉ GRAAL ou LA VIE DE BRIAN.
Aux États-Unis, le trio Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker, plus connu sous les initiales ZAZ (à ne pas confondre avec la brailleuse française), va révéler un courant parodique sans limites dès la fin des années 70 en co-réalisant, co-écrivant et co-produisant plusieurs pastiches de films à succès.

Du film sandwich à la brigade de police
En 1977, le collectif ZAZ est à l’origine du scénario de HAMBURGER FILM SANDWICH (THE KENTUCKY FRIED MOVIE en VO), deuxième film de John Landis composé d’une série de sketchs absurdes qui influenceront les Nuls une dizaine d’années plus tard.
Si ce film reste inconnu d’une grande majorité du public français, leur création suivante va révolutionner l’humour au cinéma : AIRPLANE, distribué chez nous sous le titre Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ?, est un des grand succès cinématographique de 1980.

Parodie débridée d’un film américain de la fin des années 50, À L’HEURE ZÉRO, et de la série de films catastrophes AIRPORT (qui vient de se terminer un an plus tôt avec l’involontairement drôle AIRPORT 80 : CONCORDE), Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? innove dans le genre en s’appuyant sur un casting d’acteurs « sérieux » comme Robert Stack (LES INCORRUPTIBLES), Peter Graves (MISSSION : IMPOSSIBLE), Lloyd Bridges, Chuck Connors ou Leslie Nielsen.
Aperçu dans le film dans le rôle du médecin portant son stéthoscope comme un pendentif, Nielsen avait été choisi en remplacement de Christopher Lee, occupé à tourner dans le 1941 de Steven Spielberg. Quand une parodie en chasse une autre…
Du sérieux avant tout
Les fans de Leslie Nielsen – et ils sont nombreux – le savent déjà. Mais il me semble utile, malgré tout, de rappeler ici que l’acteur américain eut un début de parcours professionnel sous un angle on ne peut plus sérieux.
D’origine canadienne, Nielsen débuta une carrière théâtrale à la fin des années 40, avant de se tourner vers le cinéma et la télévision, 2 genres qu’il ne cessera d’alterner jusqu’à ses derniers rôles.

En 1956, il incarna le commandant John J. Adams, précurseur du futur Capitaine Kirk, dans le mythique film de science-fiction PLANÈTE INTERDITE de Fred M. Wilcox. Près de 20 ans plus tard, il sera un autre commandant dans L’AVENTURE DU POSEÏDON de Ronald Neame.
il jouera dans de nombreuses et célèbres séries télévisées comme ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE, PEYTON PLACE, LES MYSTÈRES DE L’OUEST, COLUMBO, LES RUES DE SAN FRANCISCO, L’ÎLE FANTASTIQUE… Sa prestance et sa chevelure blanche l’amenèrent régulièrement à interpréter des personnages d’avocat, de médecin, d’espion, de juge, bien loin des rôles comiques pour lesquels il reste définitivement associé aujourd’hui.

Les débuts de Frank Drebin
En 1982, le trio ZAZ se tourne vers la télévision en proposant pour le réseau de télé ABC la série POLICE SQUAD ! Le concept parodique est identique au film Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? : écrire et mettre en scène des récits totalement loufoques mais interprétés dans le plus grand sérieux par des acteurs connus du public américain pour leurs rôles essentiellement dramatiques.
Leslie Nielsen est retenu pour interpréter l’anti-héros de la série. Véritable caricature des séries tv policières américaines diffusées depuis les années 50, POLICE SQUAD ! évoque les enquêtes du lieutenant Frank Drebin – mais son grade n’est jamais très clair et varie d’une histoire à l’autre – sur une durée de 24 minutes par épisode.
Parlant de ses enquêtes en voix off et avec le plus grand sérieux, Drebin / Nielsen est un gaffeur et un abruti qui s’ignore, résolvant chaque énigme ou crime par le plus grand des hasards, tout en étant persuadé d’être réellement efficace !
Sur un ton irrésistible, proposant une série de scènes absurdes avec le plus grand sérieux, POLICE SQUAD ! utilise de nombreux running gags : à chaque générique d’introduction, une « guest star » (William Shatner, Lorne Greene…) est réellement invité… pour se faire descendre après seulement quelques secondes d’apparition à l’écran; à la fin de chaque épisode, les acteurs se figent alors que le générique défile… et alors qu’ils sont en train d’effectuer une action particulière (se verser du café, arrêter un malfaiteur, éclater de rire…).

Du petit au grand écran
Malgré un humour ravageur et délirant, POLICE SQUAD ! ne durera que le temps de 6 épisodes. Dans une interview donnée pour la sortie de la série en DVD, Leslie Nielsen évoquera avec justesse le fait que chaque épisode comprenait trop de gags visuels pour être pleinement perçus et appréciés sur une télévision, à une époque où les écrans géants n’existaient pas encore.

Après la parodie combinée du film de guerre et des comédies musicales d’Elvis Prestley avec TOP SECRET, le trio ZAZ reprend le personnage de Frank Drebin pour le développer au cinéma. THE NAKED GUN, finement traduit en France par Y-A-T-IL UN FLIC POUR SAUVER LA REINE ?, sort en salles en1988, bientôt suivi par Y-A-T-IL UN FLIC POUR SAUVER LE PRÉSIDENT ? en 1991 et Y-A-T-IL UN FLIC POUR SAUVER HOLLYWOOD ? en 1994, avec pour ce dernier opus Peter Segal à la réalisation.

Drebin / Nielsen : le second souffle
La trilogie Y-A-T-IL UN FLIC… ? permettra au personnage de Frank Drebin de trouver son public et offrira un second – mais court – souffle à Leslie Nielsen, devenant, avec plus ou moins de bonheur, un « élément » de réussite assurées pour les parodies des succès du moment.
S’il faut admettre que tous les gags ne sont pas du meilleur niveau et qu’une baisse de qualité se ressent dans le 3ème et dernier film (du moins, c’est mon avis…), la série des Y-A-T-IL UN FLIC… ? est devenue une véritable référence en terme d’humour loufoque, tout comme les détournements du trio ZAZ.

De leurs côtés, toutes ces parodies, de AIRPLANE à la série des NAKED GUN / Y-A-T-IL UN FLIC… ?, furent des tremplins pour les frères Zucker et Jim Abrahams. Ce dernier, par exemple, avec l’acteur et scénariste Pat Proft (déjà co-auteur sur les Y-A-T-IL UN FLIC… ?), fut à l’origine de HOT SHOTS 1 et 2, délirantes parodies de TOP GUN ET RAMBO 2, entre autres.
David Zucker, de son côté, réalisa SCARY MOVIE 3 et 4, relevant (un peu) le niveau de la franchise. Quant à son frère Jerry Zucker, il mit en scène le célèbre GHOST avec Patrick Swayze et Demi Moore en 1990, puis LANCELOT / FIRST KNIGHT en 1995 avec Sean Connery et Richard Gere.

Leslie for President !
Avec le personnage de Frank Drebin, Leslie Nielsen est devenu une véritable idole pour de nombreux cinéphiles / cinéphages. Sa bouille, rapidement identifiable, est indissociable du rôle et des comédies qu’il enchaîna des années 80 à sa disparition en 2010.
Acteur talentueux et généreux, Nielsen fut hélas parfois « utilisé » pour de multiples navets et nanars, tentant de surfer de façon mercantile sur les succès des comédies ZAZ. Y-A-T-IL UN EXORCISTE POUR SAUVER LE MONDE ? en 1990 ou Y-A-T-IL UN FLIC POUR SAUVER L’HUMANTÉ en 2000 avec… Ophélie Winter (!?) en sont les pires exemples.

Dans une moindre mesure DRACULA, MORT ET HEUREUX DE L’ÊTRE de Mel Brooks en 1995, LE DÉTONNATEUR, parodie du FUGITIF avec Harrison Ford en 1998, ou son rôle de Président des États-Unis dans SCARY MOVIE 3 et 4 dans les années 2000 ne furent pas de grandes réussites.
Il n’empêche que le personnage de Drebin amena à Leslie Nielsen un énorme capitale sympathie d’un public toujours fidèle. Seul soucis dorénavant : essayez donc de revoir un épisode de COLUMBO ou des RUES DE SAN FRANCISCO sans avoir envie de rire et en le prenant vraiment au sérieux ! Quand un rôle devenu mythique colle à la peau d’un acteur…
