Retour sur un grand classique de la science-fiction au cinéma avec LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA (THE DAY THE EARTH STOOD STILL en VO) de Robert Wise, film qui marqua les esprits pour son aspect visuel et sonore, mais aussi pour son traitement réaliste à une époque où le genre n’était pas vraiment pris au sérieux.
UN CONTEXTE LOURD
En ce début des années 50, l’époque est à la Guerre Froide entre l’Ouest (les États-Unis) et l’Est (l’URSS). 6 ans après la bombe sur Hiroshima, les américains vivent dans la crainte d’un conflit nucléaire avec les soviétiques, alors que la première bombe à hydrogène vient d’être mise au point.
Dans cette “ère atomique”, l’incident de Roswell en 1947 a déclenché une paranoïa quant aux Objets Volants Non Identifiés, amenant une vague de témoignages plus ou moins authentiques sur de mystérieuses vaisseaux venus d’ailleurs.
S’appuyant sur ce contexte lourd et sur l’attrait du public pour le fantastique et la science-fiction, Hollywood va développer une série de projets en rapport avec les tendances du moment : LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE ou LA GUERRE DES MONDES, adapté du célèbre roman d’H. G. Wells, témoignent des préoccupations de l’époque.
Mais alors qu’une grande majorité de films présentent des aliens belliqueux et monstrueux, symbolisant sommairement l’ennemi communiste, un film va se démarquer par une approche plus sérieuse et un message teinté de pacifisme.
Des origines littéraires
Tiré de la nouvelle “Farewell To The Master” de l’écrivain américain Harry Bates, publié en 1940 dans la revue “Astounding Science Fiction”, le scénario de LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA, écrit par Edmund H. North, voit un OVNI atterrir à Washington par un jour d’été, devant un public à la fois fasciné et inquiet et une escouade militaire.
Un extra-terrestre à l’apparence humanoïde, Klaatu (Michael Rennie), sort du vaisseau. Mais à peine a-t-il fait un geste qu’un soldat le blesse d’un coup de fusil.
L’incident fait sortir un autre « visiteur » de l’astronef : un impressionnant robot de défense, Gort, dont le rayon détruit les armes terriennes qui lui font face.
Amené dans un hôpital afin d’être soigné, Klaatu s’enfuit et trouve refuge dans une pension familiale où Helen Benson et son fils Bobby (Patricia Neal et Billy Gray) lui viendront en aide…
ROBERT WISE À LA MISE-EN-SCÈNE
Débutant à Hollywood comme coursier, Robert Wise deviendra un monteur très demandé dans les années 30 et 40, entre autres pour Orson Welles sur CITIZEN KANE ou LA SPLENDEUR DES AMBERSON.
Wise se tourne vers la réalisation avec plusieurs séries B puis s’impose grâce au classique NOUS AVONS GAGNÉ CE SOIR en 1949, consacré au monde de la boxe.
Deux ans plus tard, il tourne LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA avec un budget serré de moins d’1 million de dollars. Robert Wise contournera cet apparent handicap en jouant sur un habile montage, comme il en a l’habitude, des décors minimalistes mais savamment employés et une superbe photographie noir et blanc dirigée par Léo Tover.
Ne pouvant s’autoriser l’emploi de stars en tête d’affiche, Wise se tourne vers le britannique Michael Rennie (LA TUNIQUE, LA GUERRE DES CERVEAUX…) pour le rôle de Klaatu et Patricia Neal (DIAMANTS SUR CANAPÉ, LE FANTÔME DE MILBURN…) pour incarner Helen Benson.
La grande taille (1m93) et les traits à la fois aristocratiques et émaciés de Michael Rennie contribueront grandement à apporter crédibilité et étrangeté au personnage de Klaatu. Quant à Patricia Neal, ses grands yeux expressifs appuieront sans peine la compassion et la crainte ressenties par son personnage.
Klaatu barada nikto
S’il est devenu un grand classique de la SFavec le temps, LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA marqua en grande partie la mémoire collective pour une étrange réplique : « Klaatu barada nikto ».
Inutile de chercher votre traducteur pour en comprendre le sens : cette phrase, inventée de toutes pièces par les créateurs du film, est sensé appartenir à un langage extra-terrestre, celui de Klaatu, le personnage principal du film. Cette phrase clé permet de stopper Gort dans sa programmation de “gardien destructeur” et de venir en aide à Klaatu s’il lui arrive un “accident”. Celui-ci demande d’ailleurs à Helen d’utiliser cette phrase auprès du robot géant peu avant d’être tué.
Au fil du temps, “Klaatu barada nikto” est, devenu mythique pour de nombreux cinéphiles et autres mordus de la pop culture. L’expression a été réutilisée à de maintes reprises dans les univers des jeux vidéos et des comics, mais aussi au cinéma dans des films comme TRON, STAR WARS, EVIL DEAD 3, PLANÈTE 51… Aujourd’hui, il est fort probable que certains et certaines l’emploient sans vraiment connaître son origine.
LA BO DE Bernard Herrmann
Les adeptes du compositeur attitré – ou presque – d’Alfred Hitchcock vouent un culte pour la composition de Bernard Herrmann pour le film. Il est fort probable qu’ayant tous deux œuvré pour Orson Welles Robert Wise et Bernard Herrmann se retrouvent sur LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA.
Célèbre pour ses créations musicales symphoniques et puissantes, avec une participation spécifique des cuivres, Herrmann utilisa le Thérémine pour le film de Wise, afin de lui octroyer une sonorité étrange et terrifiante.
Créé au tout début des années 1920 par le russe Lev Sergueïevitch Termen (d’où le nom de “Thérémine”), cet instrument est aujourd’hui considéré comme l’un des premiers instruments de musique électronique, ailleul des synthétiseurs actuels. Constitué d’un boîtier électronique, d’une antenne verticale et d’une seconde antenne horizontale, le Thérémine ne nécessite pas de contact direct avec l’instrumentiste : la main droite dirige la hauteur des notes voulues quand la main gauche contrôle leur volume.
Prophète ou ange exterminateur ?
Depuis sa sortie, LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA engendra de nombreuses discussions et théories sur la signification de son récit. Une allusion au Christ y fut décelé, Klaatu venant sur Terre avec un message de paix avant d’être tué puis de renaître d’entre les morts.
Toutefois, son message en apparence bienveillant contient également une réelle menace vis-à-vis des humains : ces derniers sont libres d’utiliser l’arme atomique entre eux, si cela s’avère nécessaire, mais pas en dehors des frontières terrestres sous risque de lourdes représailles. En résumé, l’Homme peut s’attaquer uniquement à l’Homme, pas aux autres civilisations. Si cela n’est pas respecté, la Terre sera détruite. Le caractère messianique de Klaatu en prend un coup !
Toutefois, cette approche est à lier avec la “politique de la terreur” issue de l’ère atomique de ce début des années 50. Chaque grande puissance – les États-Unis et l’ex URSS – possédant la Bombe, sa mise-en-œuvre engendrerait une dévastation totale de notre monde.
Le message de paix et de mise-en-garde quant à une invention encore mal contrôlée demeure donc essentiel et évident…
L’INFLUENCE DU FILM
Dire aujourd’hui que LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA est une œuvre fondatrice d’un certain cinéma de Science-Fiction est une évidence. Un modèle indéniable pour des films spectaculaires, divertissants et profonds. Avec une influence sur des cinéastes comme Steven Spielberg pour RENCONTRES DU 3ème TYPE ou E.T., John Carpenter pour STARMAN ou bien encore James Cameron pour ABYSS.
La beauté de la photographie, la maîtrise de la mise-en-scène de Robert Wise, l’impact de certaines séquences (l’arrivée de lOVNI sur Washington, la silhouette de Klaatu à contre-jour à l’entrée de la pension de famille…), la stylisation épurée des décors… ont grandement contribué au succès du film et à son impact au fil des années.
Le film fit même l’objet d’un inutile remake en 2008, avec Keanu Reeve, Jennifer Connelly et John Cleese. Si cette nouvelle version propose une approche « modernisée » du récit d’origine, elle n’a pas laissé la même empreinte auprès du public et de la critique…
LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA de Robert Wise s’est imposé comme un grand classique de la SF, à découvrir ou à redécouvrir.
LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA (1951) de Robert Wise.
Avec Michael Rennie, Patricia Neal, Billy Gray, Hugh Marlowe, Sam Jaffe…
Scénario : Edmund H. North d’après la nouvelle « Farewell To The Master » de Henry Bates.
Musique : Bernard Herrmann.
Crédits photos : © 20th Century Fox