Revoir SEULS SONT LES INDOMPTÉS

S’il est un classique du cinéma qui mériterait amplement d’être redécouvert du plus grand nombre, SEULS SONT LES INDOMPTÉS (LONELY ARE THE BRAVE en VO) de David Miller serait mon premier choix.

Entre neo-western et drame social, cette belle et dramatique balade est l’occasion de revoir Kirk Douglas dans l’une de ses plus belles compositions. L’acteur, qui vient de nous quitter, considérait SEULS SONT LES INDOMPTÉS comme son film favori.

Retour sur un grand et beau classique à voir et revoir sans modération.

 

Le brave cow-boy

Comme souvent au cinéma, le scénario de SEULS SONT LES INDOMPTÉS, signé Dalton Trumbo, est inspiré d’un roman, THE BRAVE COW-BOY de l’écrivain et essayiste Edward
Abbey.

Marqué par une enfance dans les Appalaches et les westerns qu’il dévore au cinéma, Abbey devint un incontestable admirateur de l’Ouest américain et un défenseur radical de la nature, bien avant que cela cela ne devienne une urgence nécessaire.

Parmi ses nombreux écrits, LE GANG DE LA CLÉ À MOLETTE / THE MONKEY WRENCH GANG, publié pour la première fois en 1975 puis réédité dans une version intégrale en 2013, reste son œuvre la plus célèbre.

Publié en 1956, THE BRAVE COW-BOY sortira en France sous le titre SEULS SONT LES INDOMPTÉS.

 

Une star investie

Lorsqu’il découvre le récit d’Edward Abbey, Kirk Douglas cherche à l’adapter pour le cinéma. Devenu vers la fin des années 50 une immense star hollywoodienne, l’acteur s’implique dans des rôles et des productions alliant grands films et œuvres à messages.

En 1960, Douglas impose Dalton Trumbo au scénario de SPARTACUS dont il confie la mise-en-scène à Stanley Kubrick avec qui il a tourné LES SENTIERS DE LA GLOIRE en 1957. L’écrivain et scénariste sort d’une dizaine d’années de « liste noire » – dont un an de prison ferme – liée au Maccarthysme et à sa farouche volonté de ne pas témoigner à la commission des activités antiaméricaines.

Dalton Trumbo

Forcé de s’exiler au Mexique et d’écrire sous des noms d’emprunts, Trumbo va enfin pouvoir travailler sous son vrai nom dès le début des années 60, et grâce à l’investissement de Kirk Douglas ou du cinéaste Otto Preminger qui lui demanderont de signer de son vrai nom pour SPARTACUS et EXODUS en 1960.

Talentueux et rapide, Trumbo écrit le scénario de SEULS SONT LES INDOMPTÉS deux ans après celui de SPARTACUS. Cette histoire d’un homme refusant les diktats d’une société trop conformiste ne pouvait que le séduire.

 

Libre et rebelle

Le récit de SEULS SONT LES INDOMPTÉS commence au Nouveau Mexique, au début des années 60. John « Jack » Burns (Kirk Douglas) vit de petits boulots en tant que vacher. Refusant le monde moderne et ses illusions, il est sans attaches, dormant à la belle étoile en pleine nature aux côtés de son cheval.


Jack retrouve Jerri (Gena Rowlands), une jeune femme qu’il aima autrefois et qui est devenue l’épouse de son ami Paul Bondi (Michael Kane). Ce dernier est en prison pour avoir engager des clandestins mexicains.

Cherchant à faire évader Paul, Jack provoque une bagarre dans un bar et se fait incarcérer avec son ami. Mais ce dernier refuse de s’évader, prétextant qu’il préfère ne pas aggraver son cas en choisissant la légalité.

Jack s’évade sans Paul. Mais il est pourchassé par le shérif Johnson Walter (Walter Matthau) et son équipe. Johnson comprend Jack Burns mais est contraint de l’arrêter alors qu’il s’est caché dans les montagnes environnantes…

 

Décor naturel

SEULS SONT LES INDOMPTÉS fut entièrement tourné en décor naturel, principalement dans la région des monts Sandia près d’Albuquerque au Nouveau Mexique.

Le Rio Grande, toujours au Nouveau Mexique, servit également de décor pour le film. Le scénario de Dalton Trumbo fut écrit en une seule phase, sans rajouts ou modifications.

Le choix du noir et blanc, probablement lié au petit budget du film, n’en demeure pas moins une belle option, apportant au film une atmosphère épuré et magnifiant les décors naturels dans une certaine intemporalité.

On doit cette belle photographie au chef opérateur Philip H. Lathrop. Venu de la télévision, ce dernier œuvra sur de nombreux classiques cinématographiques tels LA PANTHÈRE ROSE, LE KID DE CINCINNATI, ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX ou TREMBLEMENTS DE TERRE.

À propos de la réalisation, le débat reste ouvert. Certains – comme le réalisateur et grand connaisseur du cinéma américain Bertrand Tavernier – l’attribuent entièrement à David Miller, cinéaste quelque peu oublié qui retrouva Dalton Trumbo pour le méconnu COMPLOTS À DALLAS en 1973, l’un des premiers films évoquant ouvertement la théorie du complot contre l’assassinat de John F. Kennedy.

D’autres accréditent l’idée que Kirk Douglas prit les commandes du film, insatisfait du travail de Miller. L’acteur était réputé pour son ingérence perpétuelle dans le tournage de ses films. Aujourd’hui, la vérité sur SEULS SONT LES INDOMPTÉS n’a toujours pas été faîte. Mais avec la grande implication de Kirk Douglas sur le film, on peut supposer qu’il s’impliqua également dans la mise-en-scène…

 

Le casting du film

De tous les plans ou presque, Kirk Douglas trouve, avec ce film, l’un de ses plus beaux rôles, si ce n’est le plus beau. Considérant SEULS SONT LES INDOMPTÉS comme son film préféré, l’acteur offre ici l’interprétation d’un personnage qui devait lui ressembler.

Rebelle, refusant le « moule » que la société moderne lui impose sans chercher pour autant l’affrontement par la violence (sauf si cela s’avère nécessaire), son personnage attire irrémédiablement la sympathie. On suit son parcours avec le sentiment évident que tout cela ne peut pas bien se terminer…

Autour de Kirk Douglas, la distribution du film est de premier ordre. Gena Rowlands incarne ici l’unique personnage féminin de SEULS SONT LES INDOMPTÉS. Issue du théâtre et de la télévision, elle tournait ici son 3ème film pour le cinéma, juste après SHADOWS de son époux John Cassavetes. Dans un rôle court mais essentiel, la grande actrice apporte beaucoup de lumière et d’émotion au film. On comprend à demi-mots que son personnage Jerri et Jack, le rôle de Kirk Douglas, se sont passionnément aimés dans le passé. Et qu’un lien profond est resté.

Incarnant le shérif Johnson Walter, Walter Matthau donne au rôle une belle humanité malgré ses obligations qui le poussent à appliquer la loi. Plutôt rare au cinéma, son personnage s’éloigne des incarnations de représentant de la loi bornés et détestables. Le shérif Walter comprend Jack et le poursuit à contrecœur. Matthau avait déjà plusieurs classiques à son palmarès, à l’époque du film, tels LA RIVIÈRE DE NOS AMOURS ou BAGARRES AU KING CRÉOLE. On le retrouva par la suite dans CHARADE, POINT LIMITE, DRÔLE DE COUPLE, FLEUR DE CACTUS ou LES PIRATES DU MÉTRO.

L’acteur George Kennedy interprète ici un shérif adjoint cruel et sadique. Abonné aux personnages patibulaires, il joua également dans CHARADE, LUKE LA MAIN FROIDE, LES DOUZE SALOPARDS, TREMBLEMENTS DE TERRE puis dans la série des Y-A-T-IL UN FLIC…? avec Leslie Nielsen. On se souvient aussi de lui pour le rôle de Joe Patroni dans la série des AIRPORT.

À noter également Bill Bixby pour sa première apparition au cinéma dans le rôle d’un pilote d’hélicoptère. L’acteur fit principalement carrière à la télévision dans MON MARTIEN FAVORI, LE RICHE ET LE PAUVRE, LE MAGICIEN et L’INCROYABLE HULK dans le rôle du Dr Banner.

 

Néo western et drame intemporel

SEULS SONT LES INDOMPTÉS n’est pas, à proprement parler, un western même s’il s’inscrit dans une tradition proche de ce genre on ne peut plus américain. Le film commence d’ailleurs par un plan magnifique, présentant Jack Burns (Kirk Douglas) se réveillant en plein désert, près de son cheval. Alors que tout nous ramène au Western, la trainée blanche laissée dans le ciel par un avion à réaction nous démontre le contraire…

Souligné par l’une des premières musiques de films du grand compositeur Jerry Goldsmith (LA PLANÈTE DES SINGES, CHINATOWN, LA MALÉDICTION, STAR TREK LE FILM…), le film est avant tout un drame, une œuvre sombre et un regard désespéré sur l’humanité.

Tout est dans ce titre que Kirk Douglas n’aimait pas mais qui traduit magnifiquement le contenu du film : choisir de ne pas suivre une vie comme tout le monde vous condamne irrémédiablement à la solitude.

À notre belle époque de la pensée commune véhiculée par les réseaux sociaux, SEULS SONT LES INDOMPTÉS n’a rien perdu de sa puissance d’évocation. Son message profond et triste reste d’actualité, près de 60 ans après sa sortie.

Pour exemple, au cours de sa fuite, Jack, le personnage de Kirk Douglas, n’a de contacts réconfortants qu’auprès de la nature qui l’entoure, son propre cheval et l’apaisement que lui procure la faune et la flore des montagnes.

Enfin, ce beau film témoigne encore des hautes exigences de Kirk Douglas quant à ses choix cinématographiques. Loin de se laisser aller à une certaine paresse, l’enfermant dans des rôles attendus du plus grand nombre, l’acteur préférait s’orienter vers des personnages complexes, ambigus mais émotionnellement riches.

L’homme n’est plus mais son impressionnant parcours le rend déjà immortel. Et SEULS SONT LES INDOMPTÉS y contribue beaucoup.

 

SEULS SONT LES INDOMPTÉS (1962) de David Miller.
Avec Kirk Douglas, Walter Matthau, Gena Rowlands, George Kennedy…
Scénario : Dalton Trumbo d’après « The Brave Cow-Boy » d’Edward Abbey.
Musique : Jerry Goldsmith.

 

Crédits photos : © Universal Pictures / Joel Productions

 

Bande-annonce

 

Bonus

Le roman THE BRAVE COW-BOY d’Edward Abbey a fait l’objet d’une adaptation française en bande dessinée par Max de Radiguès et Hugo Piette aux éditions Sarbacane, et publiée en septembre 2019.

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. princecranoir dit :

    Quel beau conseil ! Voilà qui me redonne envie de repartir pour le Nouveau Mexique, et pourquoi pas « 3 enterrements » qui emprunte aussi beaucoup de ce film/livre seminal. Je ne peux pas empêcher de penser aussi que David Morrell a du s’inspirer en partie de « lonely are the brave » pour écrire certaines péripéties de « first blood », notamment la scène de l’hélicoptère. Comme un juste retour de l’histoire, Kirk Douglas faillit jouer le rôle du colonel Trautman dans le film de Kotcheff, tandis que Jerry Goldsmith composa pour l’occasion un score parmi les plus inoubliables.

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    1. Oui, il y a effectivement beaucoup de similitudes entre LONELY ARE THE BRAVE et RAMBO FIRST BLOOD. Mais le 1er est encore à (re)découvrir.

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