Certains films sont si marquants qu’ils deviennent des références dans l’histoire du cinéma. Et parfois même dans l’Histoire
PSYCHOSE fait partie de ces œuvres. Film phare, ce chef d’œuvre de l’angoisse et de l’épouvante signé Alfred Hitchcock est devenu en 60 ans un modèle indétrônable, une source inépuisable d’apprentissage pour les cinéastes en herbe et pour tous les cinéphiles, une véritable révolution considérée aujourd’hui comme un classique du genre.
Retour sur un film clé du 7ème art pour lequel il y a un avant et un après.

Fait divers et roman
Aux origines de PSYCHOSE, il y a l’horreur de l’actualité et le récit d’un roman d’épouvante. À la fin des années 50 aux États-Unis, le fermier Ed Gein est arrêté pour les meurtres de deux femmes déclarées disparues quelques temps auparavant.
En plus des 2 corps retrouvés chez lui, on découvre également chez celui que l’on nommera plus tard « le boucher de Plainfield » (du village de l’Illinois où vivait Gein) plusieurs objets réalisés à partir de cadavres de femmes volés au cimetière voisin. Quand l’horreur de la réalité dépasse la fiction…
En 1959, le romancier Robert Bloch, spécialisé dans les écrits policiers et fantastiques, publie PSYCHO (PSYCHOSE en VF), inspiré des crimes d’Ed Gein. Son récit connaît alors une bonne critique générale.
Bloch est également le scénariste de quelques épisodes de l’anthologie ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE. Le célèbre metteur-en-scène va trouver dans son roman la base de son prochain film.
Histoire à ne pas dormir de la nuit
En cette fin des années 50, Alfred Hitchcock savoure le grand succès de LA MORT AUX TROUSSES, une production ample, en Technicolor, interprétée par un casting de stars.
Pour son prochain film, il souhaite changer de direction pour un film aux moyens plus modestes. Sa série télévisée lui donne ainsi l’occasion de s’entourer d’une équipe technique habituée aux tournages « serrés » en termes de temps et de budgets.

Fasciné par les méfaits d’Ed Gein et le thriller horrifique qu’en a tiré Robert Bloch, Hitchcock s’engage dans la production de PSYCHOSE et en confie le scénario à James Cavanagh, l’un des auteurs d’ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE.
Mais le travail de Cavanagh ne convainc pas le cinéaste qui le trouve trop ennuyeux. Joseph Stefano, un jeune auteur, n’ayant alors que deux films à son actif, est engagé pour reprendre le scénario de PSYCHOSE.
Méfiant à l’encontre de Stefano dans un premier temps, Hitchcock est emballé par son travail. C’est le jeune scénariste qui suggère au réalisateur de dérouter le public en démarrant le récit sur une banale histoire de vol et de fuite pour le plonger dans l’horreur et le réorienter vers d’autres personnages en milieu de film.
Ainsi, PSYCHOSE commence à Phœnix en Arizona. Marion Crane (Janet Leigh) et son amant Sam Loomis (John Gavin) connaissent une situation financière difficile. De retour à son travail, la jeune femme est témoin d’une transaction immobilière entre son patron et un riche client. Chargée de déposer le paiement à la banque, Marion s’enfuit avec l’argent liquide sur un coup de tête et prend la route. Gênée par la fatigue et le mauvais temps, elle fait une halte dans un petit hôtel tenu par Norman Bates (Anthony Perkins), un jeune homme timide…
Le rôle d’une vie
Hitchcock souhaite effectuer un changement majeur dans son adaptation du roman de Robert Bloch. Dans le livre, le personnage de Norman Bates est un homme entre deux âges, corpulent et à la personnalité antipathique. Un suspect idéal dès son apparition !
Le célèbre cinéaste va s’éloigner de cette description et choisir l’acteur Anthony Perkins pour ce qui deviendra le rôle d’une vie. D’un père lui-même acteur, Perkins entame sa carrière au début des années 50. Il enchaîne les seconds rôles dans des films mineurs, mis-à-part LA LOI DU SEIGNEUR de William Wyler avec Gary Cooper en 1957. En 1960, il est choisit par Alfred Hitchcock pour le rôle de Norman Bates.
Son interprétation fiévreuse, sensible et ambigue du personnage le rendra célèbre et l’imposera malgré lui dans une série de rôles psychologiquement fragiles. Jusqu’à sa disparition en 1992, il jouera dans de nombreux films comme AIMEZ-VOUS BRAHMS ?, LE PROCÈS, PARIS BRÛLE-T-IL ?, CATCH 22, LE CRIME DE L’ORIENT-EXPRESS, LES LOUPS DE HAUTE MER, LE TROU NOIR…
Pour le personnage de Marion Crane, Hitchcock veut surprendre le public en engageant une actrice célèbre. Janet Leigh se voit attribuer le rôle. Après quelques participations secondaires au cinéma, sa carrière démarre vraiment en 1952 dans SCARAMOUCHE avec Stewart Granger. On la verra par la suite dans LES VIKINGS, LA SOIF DU MAL, UN CRIME DANS LA TÊTE, BYE BYE BIRDIE… Sa filmographie ralentit dès le milieu des années 60 et elle se tourne vers la télévision. L’un de ses derniers grands rôles sera dans FOG de John Carpenter aux côtés de sa fille Jamie Lee Curtis.
Interprète de Lila Crane, la sœur de Marion dans PSYCHOSE, l’actrice Vera Miles avait déjà joué avec Janet Leigh en 1951 dans LES COULISSES DE BROADWAY. Elle tourne pour Hitchcock dans la série tv ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE puis dans LE FAUX COUPABLE avec Henry Fonda. Le réalisateur lui en voudra toujours d’avoir du abandonner le tournage de VERTIGO en raison de sa grossesse. Il ne lui confiera ainsi qu’un second rôle dans PSYCHOSE même si celui-ci a son importance… On retrouvera par la suite Vera Miles au cinéma dans L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE et dans des productions Disney. À la télévision, elle tournera dans les séries COLUMBO, ARABESQUE ou MAGNUM jusqu’à ce qu’elle décide de mettre un terme à sa carrière en 1995.
Disparu en 1996, Martin Balsam, l’interprète du détective Arbogast dans PSYCHOSE, eut une longue carrière pour le théâtre, le cinéma et la télévision. On a pu le voir dans SUR LES QUAIS, DOUZE HOMMES EN COLÈRE, DIAMANTS SUR CANAPÉ, LITTLE BIG MAN, TORA! TORA! TORA!, LE CRIME DE L’ORIENT-EXPRESS, LES HOMMES DU PRÉSIDENT…
Dans le rôle de Sam Loomis, l’acteur d’origine irlando-mexicaine John Gavin fut l’interprète de LE TEMPS D’AIMER ET LE TEMPS DE MOURIR de Douglas Sirk, PIÈGE À MINUIT, SPARTACUS ou PAS DE ROSES POUR OSS 117. En 1971, il devait reprendre le rôle de James Bond pour LES DIAMANTS SONT ÉTERNELS avant que Sean Connery ne réendosse le smoking.
Scènes mythiques
Disposant d’un petit budget de moins d’un million de dollars, PSYCHOSE fut tourné en noir et blanc pour amoindrir son coût et éviter la crudité trop forte des scènes de meurtres.
Ces séquences sont devenues mythiques dans l’histoire du cinéma. Il y a bien sûr la fameuse « scène de la douche » qui prit à Hitchcock et son équipe de tournage une semaine pour une durée à l’écran de 45 secondes en 70 plans. Le bruitage de l’assassinat fut obtenu à l’aide d’une citrouille percée de coups de couteau.
Aidé par la musique terrifiante de Bernard Herrmann, les effets sonores et un montage frénétique, Hitchcock parviendra à éviter la censure pour nudité et violence explicite en jouant sur la suggestion, faisant croire aux spectateurs qu’ils ont bien vu ce que lui n’a pourtant pas montré !
L’assassinat du détective en haut de l’escalier est également un grand moment de terreur et une prouesse technique. Plaçant la caméra au dessus des protagonistes pour ne pas trop dévoiler la scène et préserver le « secret » du film, Hitchcock parvient à créer un autre choc intense auprès du public, même si cette fois celui-ci s’attend à ce qui va se dérouler…
Tout au long du film, le réalisateur va placer de nombreux détails glaçants dans le décor, instaurant une ambiance lourde et menaçante : le policier aux lunettes noires qui réveille Marion assoupie sans sa voiture; Norman Bates observant Marion à l’aide d’un trou dans le mur caché derrière un tableau; la maison menaçante des Bates, filmée tel un personnage à part entière; la caméra qui s’attarde sur l’argent volé après le 1er meurtre, prouvant qu’il ne s’agit pas d’un crime crapuleux…
Bates Motel
PSYCHOSE ne serait pas le film mythique qu’il est devenu sans son décor principal : l’hôtel et la maison des Bates.
Si le motel en lui-même ressemble à ceux que l’on peut encore trouver aux États-Unis aux bords des routes et autoroutes, il n’en demeure pas moins le « témoin involontaire » du 1er meurtre du film. D’une apparence banale, il parvient quelques temps à simuler la tranquillité avant de faire réfléchir au moment de vouloir prendre une douche…
Surplombant l’hôtel, il y a l’imposante et sinistre maison des Bates mère et fils. Pour figurer cette bâtisse qui a marqué les mémoires, Alfred Hitchcock utilisa deux sources d’inspiration : un tableau du peintre américain Edward Hopper nommé « House by the railroad » et la maison de la Famille Adams, comic strip déjà célèbre avant d’être adapté à la télévision et au cinéma.

Après des recherches infructueuses au sein des décors existants des studios Universal, Hitchcock fit bâtir l’essentiel de la façade de la maison, petit budget oblige. Le décor ne fut totalement achevé qu’en 1964.
Le cinéaste apporta un soin particulier à la décoration de la maison, comme figée dans le passé avec ses miroirs décorés, son mobilier massif et sombre et cette chambre d’enfant, révélateur des secrets de Norman Bates.
Générique et musique
Devenu son collaborateur attitré en ce qui concerne les musiques de ses films, Bernard Herrmann œuvra encore pour Alfred Hitchcock après avoir enchaîné les BO de L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP, VERTIGO et LA MORT AUX TROUSSES.

Pour PSYCHOSE, le grand compositeur va créer la plus glaçante et mémorable des musiques de films, n’utilisant que des instruments à corde, alternant les pauses inquiétantes et les rythmes haletants et nerveux.
La pièce maîtresse de cette partition demeure encore aujourd’hui le cauchemardesque morceau de violons lors de la scène de la douche, repris lors du twist final. Déchirant le silence tel un couteau affuté et vrillant les nerfs, ce passage aux allures de musique expérimentale fut maintes fois détourné dans les années qui suivirent la sortie du film. Il reste encore le titre le plus effrayant de toutes les bandes originales.

Introduisant le film, le générique fut créé par le designer et publicitaire Saul Bass. Ce dernier avait déjà travaillé pour Hitchcock sur le générique de LA MORT AUX TROUSSES ainsi que sur l’affiche et le générique de VERTIGO.
Pour PSYCHOSE, Saul Bass va brillamment suggérer la violence du récit et la schizophrénie du personnage principale à l’aide d’un générique sobre où les titres blancs sur fond noir sont « découpés » selon des directions croisées.
Innovation et perfection
Sorti il y a 60 ans cette année, PSYCHOSE s’est imposé comme l’un des plus célèbres et meilleurs films d’Alfred Hitchcock. Il prouve, si c’était encore nécessaire, la volonté d’innovation et de perfection du « maître du suspense ».

Novateur dans sa manière de désorienter le public par un récit faussement linéaire, le film est devenu une référence du genre pour de nombreux autres cinéastes.
À ce sujet, Hitchcock innovera lors de la sortie du film, faisant interdire l’accès aux salles projetant PSYCHOSE aux retardataires ayant manqué le début d’une séance !
Originale dans sa manière de traiter l’angoisse et le suspense en prenant pour « héros » un personnage de criminel psychologiquement désaxé, PSYCHOSE est considéré aujourd’hui comme le modèle du « slasher movie », sous-genre du film d’horreur mettant en scène un tueur psychopathe commettant ses crimes à l’arme blanche comme Michael Myers dans HALLOWEEN ou Jason dans la série VENDREDI 13.
Hitchcock s’impliquera comme à son habitude dans l’élaboration du film, que ce soit au niveau des choix de scénario, des décors (comme vu plus haut) et des costumes. Ainsi, si le personnage de Marion Crane porte des sous-vêtements blancs au début du film, ceux-ci sont noirs après son vol et sa fuite, comme pour mieux illustrer son acte répréhensible.
Sortie et suites
À sa sortie en salles, PSYCHOSE est un grand succès critique et public en Europe. Si le film attire les foules aux États-Unis, il est éreinté par la critique, probablement vexée d’avoir du le visionner en salles sans l’avant-première de rigueur.

Si le film connaîtra une interdiction aux moins de 16 ans à sa sortie en 1960 – réajustée aux moins de 12 ans par la suite – il faut noter l’absurdité des censeurs de l’époque, gênés par la présence et l’utilisation d’une cuvette de toilettes et de sa chasse d’eau !
Considéré comme l’un des films en noir et blanc les plus rentables du 7 ème art, PSYCHOSE connut plusieurs suites et adaptations au cours des années, tant au cinéma qu’à la télévision et en littérature.
Robert Bloch, auteur du roman d’origine, écrivit 2 suites PSYCHO 2 en 1982 et PSYCHO HOUSE en 1990, n’ayant aucun rapports avec les productions cinématographiques.
C’est en 1983 que PSYCHOSE II réalisé par Richard Franklin sortit sur les écrans. Anthony Perkins et Vera Miles y reprirent leurs rôles dans une séquelle de moindre ambition mais efficace. À l’origine, Perkins ne voulait pas réinterpréter Norman Bates. Mais il revint sur son refus après avoir appris que d’autres acteurs – dont Christopher Walken – furent alors envisagés…

Moins réussi, PSYCHOSE III sortit en 1986 après le succès surprise du 2ème volet. Réalisé et interprété par Anthony Perkins, le film sera un échec critique et commercial.
En 1987, le téléfilm BATES MOTEL devait être le pilote d’une série qui ne vit jamais le jour. C’est également pour la télévision qu’est diffusé en 1990 PSYCHOSE IV : THE BEGINNING, préquelle réussie avec Anthony Perkins, Henry Thomas et Olivia Hussey, revenant sur les origines des relations troubles entre Norman Bates et sa mère.

En 1998, le réalisateur Gus Van Sant (MY OWN PRIVATE IDAHO, WILL HUNTING…) se fait plaisir en tournant un remake au plan près de PSYCHOSE. Disposant d’un impressionnant casting (Julianne Moore, Viggo Mortensen, Vince Vaughn, Anne Heche, William H. Macy…), le film sera un échec cuisant et mérité tant il apparaît inutile. Outre l’absurdité de la démarche, certains choix de casting – Vince Vaughn en Norman Bates, à l’apparence immédiatement suspecte – et des rajouts déplacés en font certainement le remake le plus absurde de l’histoire du cinéma…

Entre 2013 et 2017, une série nommée elle aussi BATES MOTEL est diffusée, se voulant une « origin story » contemporaine des évènements ayant mené au film d’Alfred Hitchcock. Malgré un beau casting – Freddie Highmore et Vera Farmiga dans les rôles du jeune Norman Bates et de sa mère – la série se traîne et se veut inutilement violente et provocante, comme pour mieux correspondre à notre époque…

De nombreuses références à PSYCHOSE apparurent dans des œuvres aussi variées que la série tv ARABESQUE, la bande-dessinée PIN-UP de Berthet ou le film MINUSCULE.

En 2012, PSYCHOSE donna lieu à un biopic, HITCHCOCK de Sacha Gervasi, revenant principalement sur le tournage du film avec Anthony Hopkins, Hellen Mirren et Scarlett Johansson.
En 2017, le documentaire 78/52 : LES DERNIERS SECRETS DE PSYCHOSE d’Alexandre O. Philippe revint sur le film, axant son titre sur le temps et le nombre de plans nécessaires à la scène de la douche.
Enfin, pour en revenir à lecture, je ne peux que vous recommander l’ouvrage de référence HITCHCOCK PAR TRUFFAUT qui évoque en partie le tournage du film…
Film mythique devenu un incontournable classique, référence avouée pour John Carpenter sur HALLOWEEN ou Brian De Palma sur PULSIONS / DRESSED TO KILL, PSYCHOSE reste une œuvre cinématographique fascinante et terrifiante.
Inoubliable pour les cinéphiles, film majeur dans la carrière d’Alfred Hitchcock, source inépuisable d’anecdotes de tournage, modèle vénéré pour les apprentis cinéastes, PSYCHOSE se voit et se revoit encore avec ce mélange de plaisir et d’angoisse pure, réussite incontestable du 7ème art.
PSYCHOSE (1960) d’Alfred Hitchcock.
Avec Anthony Perkins, Janet Leigh, Vera Miles, Martin Balsam, John Gavin…
Scénario : Joseph Stefano d’après le roman « Psychose » de Robert Bloch.
Musique : Bernard Herrmann.
Crédits photos : © Universal Pictures