Retour sur un film « doudou », lié à l’enfance et aux périodes des vacances scolaires de fin d’année, époque où il était souvent rediffusé à la télévision : LA GRANDE COURSE AUTOUR DU MONDE de Blake Edwards.
Un hommage aux cinéma muet
Au milieu des années 60, le réalisateur Blake Edwards sort de deux grands succès avec LA PANTHÈRE ROSE et QUAND L’INSPECTEUR S’EN MÊLE, faisant de Peter Sellers une star internationale.
Bien vu des studios Warner, il obtient un beau budget et le champ libre pour son prochain film, LA GRANDE COURSE AUTOUR DU MONDE (THE GREAT RACE en VO).
Depuis l’enfance, Edwards est un grand fan des « slapsticks » de l’ère du cinéma muet, ces comédies burlesques avec Laurel et Hardy (le film leur est d’ailleurs dédié) ou Buster Keaton, aux multiples cascades et destructions de décors.
Le cinéaste veut leur rendre hommage à travers une superproduction luxueuse et colorée, mélange de gags et d’aventures, inspirée par une véritable course automobile entre New York et Paris vers le début du XXème siècle.
The Great Race
Le film de Blake Edwards s’inspire d’une véritable course automobile, la « New York-Paris 1908 » connue aussi sous le nom de… The Great Race !
Étalée entre février et septembre 1908, cette impressionnant rallye pour l’époque est une course des États-Unis d’Est en Ouest au départ de New-York puis, après une traversée en mer, un trajet passant par le Japon, la Russie et l’Europe pour rejoindre Paris.
4 pays seulement – la France, l’Allemagne, les États-Unis et l’Italie – participèrent à la course avec 6 participants, dont 3 français, à bord d’automobiles d’époque légendaires : De Dion-Bouton, Thomas Flyer, Sizaire Naudin… La course fut remportée par l’Allemagne.
En 2008, une nouvelle « Great Race » était prévue pour commémorer le 100ème anniversaire de la course originale. Mais devant le refus des autorités chinoises, elle fut reportée en 2011 entre les mois d’avril et juillet.
Aventures cartoonesques
L’histoire de LA GRANDE COURSE… commence aux États-Unis en 1910. Deux aventuriers que tout oppose, l’irresistible Grand Leslie (Tony Curtis), tout de blanc vêtu, et le Professeur Fatalitas (Jack Lemmon) – Fate en VO – incorrigible gaffeur habillé de noir, s’affrontent perpétuellement sous la forme d’exploits spectaculaires.
L’idée d’une grande course automobile organisée par un quotidien new-yorkais fait à nouveau s’affronter les deux ennemis. Alors que tous les concurrents sont victimes de sabotages perpétrés par Fatalitas, ce dernier et son fidèle complice Max (Peter Falk), à bord de leur Hannibal VIII aux multiples gadgets, affrontent Leslie et son mécano Hezekiah (Keenan Wynn), les seuls encore en piste dans leur Leslie
Mais la belle suffragette et journaliste Maggie Dubois (Natalie Wood) décide elle aussi de concourir pour couvrir la dangereuse expédition…
Casting et tournage mouvementé
Pour interpréter le Grand Leslie, Blake Edwards songe à Robert Wagner (LA PANTHÈRE ROSE, DÉTECTIVE PRIVÉ, LA TOUR INFERNALE…). Mais la Warner lui impose Tony Curtis avec qui il a déjà tourné. Le duo de CERTAINS L’AIMENT CHAUD est à nouveau formé lorsque Jack Lemmon (LA GARÇONNIÈRE, AVANTI!, DRÔLE DE COUPLE…) est engagé pour incarner le délirant Professeur Fatalitas / Fate.
Peter Falk (HUSBANDS, UNE FEMME SOUS INFLUENCE, la série tv COLUMBO…) et Keenan Wynn (Dr FOLAMOUR, UN NOUVEL AMOUR DE COCCINELLE, ORCA…) complètent le casting dans les rôles respectifs de Max et Hezekiah.
Pour le rôle de Maggie Dubois, Jane Fonda (LES FÉLINS, BARBARELLA, KLUTE, LE SYNDROME CHINOIS…) est un temps envisagé avant que Natalie Wood (LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT, WEST SIDE STORY, LA FIÈVRE DANS LE SANG, BRAINSTORM…) ne soit retenue. Alors qu’elle est en pleine analyse, l’actrice est redevable d’une production pour la Warner et rejoint le tournage de LA GRANDE COURSE… contre son grès.
Confiant le scénario à Arthur Ross (L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR, BRUBAKER…) avec qui il en a développé l’idée, Blake Edwards engage son complice Henry Mancini (DIAMANTS SUR CANAPÉ, HATARI, LA PANTHÈRE ROSE…) pour la bande originale de son film.
Sur le tournage, les relations entre Jack Warner, patron des studios, et Blake Edwards sont tendues. Excédé, le cinéaste quitte le plateau… puis revient au galop lorsque Warner menace d’engager un autre metteur-en-scène !
Se comportant comme une diva pour mieux affirmer son mécontentement, Natalie Wood s’attire l’animosité d’Edwards et de Tony Curtis. Lors de la scène de la bataille de tartes à la crème, hommage avoué aux films muets, le réalisateur se vengera en recouvrant l’actrice de pâtisseries !

Malgré ces relations difficiles, le tournage se déroule aux États-Unis et en Europe – dont la scène finale au pied de la Tour Eiffel avec plus de 1000 figurants – sans incidents notoires. Mais les investissements pour apaiser les tensions (champagne, tables de jeux et de billards…) font passer le budget de 3 millions à 12 millions de dollars !

Le tournage de LA GRANDE COURSE… sera achevé avec plusieurs semaines de retard pour un succès correct en salles, loin d’en faire pourtant une réussite profitable.
Animation culte et madeleine
Preuve que les courses en tout genre étaient dans l’air du temps, le film britannique CES MERVEILLEUX FOUS VOLANT DANS LEURS DRÔLES DE MACHINES, réalisé par Ken Annakin sur une course entre avions de diverses nations au début du XXème siècle, fut réalisé la même année 1965.

Dès 1968, les studios d’animation Hanna-Barbera lancèrent la série LES FOUS DU VOLANT / THE WACKY RACE, fortement inspiré du film de Blake Edwards avec son duo Satanas et Diabolo, doubles de cartoon de Fatalitas et Max.
D’une durée de presque 3 heures, LA GRANDE COURSE AUTOUR DU MONDE fit partie de ces programmations télévisées françaises choisies pour les fêtes de fin d’année, durant les années 70 et 80.
S’il est parfois considéré à tort comme une œuvre mineure dans la carrière de Blake Edwards, et fut dénigré par Tony Curtis dans ses propres mémoires, le film a pris une patine nostalgique indéniable auprès de ceux l’ayant découvert enfants, comme votre humble serviteur…
Il y a dans LA GRANDE COURSE… une débauche généreuse de gags, de couleurs, de péripéties et de décors qui en fait un véritable « show » comme on n’en voit plus, quel que soit l’investissement numérique des productions actuelles.
Si l’envers du décor fut, semble-t-il, très loin d’être idyllique et si l’on peut regretter une véritable édition vidéo française, ce délire du grand Blake Edwards est devenue une très belle madeleine au goût irrésistible de l’enfance.
LA GRANDE COURSE AUTOUR DU MONDE (1965) de Blake Edwards.
Avec Tony Curtis, Jack Lemmon, Natalie Wood, Peter Falk, Keenan Wynn, Ross Martin…
Scénario : Arthur Ross. Musique : Henry Mancini.
Crédits photos : © Warner Bros