Pour de nombreux cinéphiles, les années 70 représentent l’une des décennies les plus fructueuses du cinéma américain, période faste où les films s’adressant à un public mature faisaient la conquête des salles de cinéma.
Après la cicatrice profonde laissée par les attentats meurtriers des années 60 (John et Bob Kennedy, Martin Luther King…), la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate, Hollywood s’engage, proposant des œuvres à la tonalité sociale crépusculaire comme NETWORK, ainsi qu’une série de thrillers politiques marquants et désenchantés comme LES TROIS JOURS DU CONDOR ou À CAUSE D’UN ASSASSINAT.
MARATHON MAN de John Schlesinger reste l’une des œuvres majeures de cette brillante décennie.
Un scénario implacable
Le roman MARATHON MAN, publié en 1975, fut à l’origine du film. Son auteur, William Goldman, connut une belle carrière d’écrivain, scénariste, auteur de pièces de théâtre et « script doctor » réputé lorsqu’il publia ce thriller de politique fiction.

Au cours de sa carrière jusqu’à sa disparition en 2018, il fut le scénariste, entre autres, de BUTCH CASSIDY ET LE KID, LA KERMESSE DES AIGLES, PRINCESS BRIDE, LAST ACTION HERO, L’OMBRE ET LA PROIE ou LES PLEINS POUVOIRS.
Un an après la parution du roman, les producteurs Robert Evans (LE PARRAIN, CHINATOWN…) et Sidney Beckerman décidèrent de mettre en chantier une adaptation sur grand écran de MARATHON MAN et demandèrent à Goldman lui-même d’en écrire le scénario.
L’empreinte de l’Histoire
Le récit de MARATHON MAN fait une double référence à l’Histoire : la Seconde Guerre Mondiale y est évoquée et plus particulièrement le cas d’officiers nazis partis se réfugier en Amérique du Sud à la fin du conflit; le maccarthysme aux États-Unis, dans les années 50, et sa dévastatrice « chasse aux sorcières » contre les intellectuels de gauche, fait aussi partie du scénario.
Thomas Levy (Dustin Hoffman), dit « Babe », est un brillant étudiant new-yorkais, hanté par le suicide de son père durant le maccarthysme alors qu’il était enfant. Solitaire, il consacre le reste de son temps à s’entraîner pour le marathon de New York.
Alors qu’il retrouve son frère aîné Henry (Roy Scheider), dit « Doc », il ignore que ce dernier travaille pour les services secrets américains et plus particulièrement sur un dossier concernant le Dr Christian Szell (Laurence Olivier), un nazi revenu aux États-Unis pour une sombre affaire de diamants.
« Babe » se retrouve bientôt impliqué au centre d’un complot dont il ignore tout, mettant sa vie en danger…
Casting sans erreurs
Confiée au réalisateur John Schlesinger – MACADAM COW-BOY, UN DIMANCHE COMME LES AUTRES, YANKS, LE JEU DU FAUCON, LES ENVOUTÉS, FENÊTRE SUR PACIFIQUE… – issu de la nouvelle vague britannique du début des années 60, MARATHON MAN doit une partie de sa réussite et de son impact à son casting sans fautes.
En tête d’affiche, Dustin Hoffman est idéal dans ce rôle de « candide », étudiant au passé douloureux – son père a été victime du Maccarthysme – bien plus résistant que son aspect « fragile » et innocent ne pourrait faire croire. Habitué à jouer sur son âge (comme dans LE LAURÉAT) l’acteur a déjà une quarantaine d’années lorsqu’il tourne MARATHON MAN. Mais son air juvénile et le potentiel sympathie qu’il a auprès du public font des merveilles…
Face à lui, Laurence Olivier, pointure du théâtre britannique à la carrière cinématographique imposante – REBECCA d’Hitchcock, LES HAUTS DE HURLEVENTS, SPARTACUS de Kubrick, LE LIMIER de Mankiewicz… – est le parfait opposé d’Hoffman qui lui est adepte de la « Méthode » et du jeu instinctif. L’acteur marqua tellement le public dans le rôle de l’immonde Christian Szell qu’il enchaîna en 1978 avec CES GARÇONS QUI VENAIT DU BRÉSIL dans le quel il incarne un juif chasseur de nazis, probablement pour ne pas imposer une image négative auprès du public.
Découverte en France par le biais du feuilleton télé LA DEMOISELLE D’AVIGNON et des comédies de Philippe de Broca LE DIABLE PAR LA QUEUE et LES CAPRICES DE MARIE, l’actrice suisse Marthe Keller entama une carrière américaine vers le milieu des années 70 avec des œuvres plus dramatiques comme BOBBY DEERFIELD de Sydney Pollack ou BLACK SUNDAY de John Frankenheimer. Elle a été le rôle titre de FEDORA de Billy Wilder en 1978. On l’a vu récemment dans K d’Alexandre Arcady, CORTEX de Nicolas Boukhrief ou AU DELÀ de Clint Eastwood.
Révélé par KLUTE et FRENCH CONNECTION, Roy Scheider fut l’inoubliable Chef Martin Brody des DENTS DE LA MER et le pilote MURPHY de TONNERRE DE FEU. L’un de ses autres rôles les plus marquants fut celui du chorégraphe Joe Gideon dans ALL THAT JAZZ de Bob Fosse. Il jouait aussi l’un des protagonistes de SORCERER / LE CONVOI DE LA PEUR, de 2010 de Peter Hyams et fut le narrateur en VO du MISHIMA de Paul Schrader.
Habitué de la télévision comme du cinéma, William Devane fut l’un des interprètes d’Alfred Hitchcock dans son dernier film COMPLOTS DE FAMILLE en 1976. On le vit également dans ROLLING THUNDER, YANKS, PAYBACK, SPACE COW-BOYS et dans la série de téléfilms JESSE STONE avec Tom Selleck.
Méthodes de jeux
Le face-à-face Hoffman / Olivier fut aussi l’occasion pour l’équipe de tournage d’observer 2 façons de jouer la comédie diamétralement opposées.
Adepte de la fameuse « méthode » de l’Actors Studio, Dustin Hoffman s’impliquait d’une manière si excessive que, lors de la séquence où ses agresseurs lui maintiennent la tête dans une baignoire remplie d’eau, il demanda aux acteurs de ne pas simuler et de lui faire réellement passer un très mauvais moment ! Résultat impressionnant de réalisme mais à qul prix : Hoffman faillit se noyer au cours du tournage et du être emmener rapidement aux urgences !
Plus tard, lors du tournage des scènes finales, Hoffman se « préparait » pour paraître essoufflé en entamant rapidement des sprints peu de temps avant la scène. Étonné de voir Olivier calme avant les mêmes séquences, il lui demanda son « secret ».
D’après la légende, Laurence Olivier, venu du théâtre britannique, lui répondit : « Pourquoi n’essayeriez-vous pas de jouer cette fois ? ». Par la suite, Hoffman a replacé les propos d’Olivier qui, selon lui, faisait référence à sa vie privée dissolue plutôt qu’à son jeu d’acteur. Il n’empêche que la remarque ne manquait pas de cynisme…
Torture dentaire
MARATHON MAN est devenu célèbre, entre autres, pour une séquence insoutenable entre les personnages de Dustin Hoffman et de Laurence Olivier. Ce dernier, dans un rôle inspiré du tristement célèbre Dr Mengele, y torture Babe / Hoffman en lui perçant les dents sans anesthésie.
Dans la VO, Szell / Olivier s’adresse à Babe / Hoffman en lui demandant : « Is it safe ? » tout en le torturant. Szell évoque un coffre-fort où se trouve des diamants qu’il veut récupérer et demande si l’endroit est sécurisé. Mais Babe ne comprend pas de quoi il parle.
Dans la VF, la phrase a été traduite par « C’est sans danger ? » et donne ainsi l’impression que Szell parle, avec cynisme, des « soins dentaires » qu’il va va effectuer sur Babe. Bien sûr, quel que soit la version, on peut envisager que le jeu de mots soit probablement voulu…
Reste que ce passage du film demeure encore très éprouvant. Il fut écourté après les réactions de rejet du public lors de la projection-test et contribua à l’interdiction aux moins de 16 ans lors de la distribution de MARATHON MAN en France.
Technique, réception et récompenses
Principalement tourné à New York et à Los Angeles pour des scènes d’intérieur filmées en studio, MARATHON MAN inclue plusieurs séquences à Paris, lorsqu’au début du film Doc / Roy Scheider est victime d’une tentative d’assassinat dans sa chambre d’hôtel.
Les scènes ont été tournées sur place dans la capitale française. L’acteur Jacques Marin (JEUX INTERDITS, DES GENS SANS IMPORTANCE, CHARADE, FANTÔMAS SE DÉCHAÎNE, MAIS OÙ EST DONC PASSÉ LA 7ème COMPAGNIE ?, FLIC STORY…) y donne la réplique à Roy Scheider. Avec son allure générale proche du « cliché » du français moyen, l’acteur fut régulièrement engagé dans des productions américaines.
Le compositeur Michael Small fut appelé pour la BO du film. On lui doit également les musiques de LA NUIT DES JUGES de Peter Hyams ou LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS de Bob Rafelson. Il fut souvent le collaborateur du cinéaste Alan J. Pakula avec les films KLUTE, À CAUSE D’UN ASSASSINAT ou UNE FEMME D’AFFAIRES.
Pour certaines séquences – dont celles où Babe, en fuite, est coursé par ses ennemis de nuit dans les rues de New York… – l’usage du Steadicam fut nécessaire. Cette même année 1976, le film ROCKY utilisa ce procédé avant qu’il ne soit devenu un incontournable avec SHINING en 1980.
En 1977, MARATHON MAN fit l’objet de plusieurs nominations aux Oscars, BAFTA et Golden Globes dont un seul fut décerné à Laurence Olivier.
Le film de John Schlesinger connut à sa sortie une réception critique et commerciale positive, malgré sa violence tant physique que psychologique.
Face à la peur et à l’Histoire
Plus de 40 ans après sa sortie, MARATHON MAN demeure une œuvre prenante et marquante. « A thriller » annonçait l’affiche. « The thriller » aurait été plus juste tant le film reste une impressionnante référence en la matière.
Très anxiogène, d’une paranoïa aigue, MARATHON MAN s’apparente dans sa trame et son traitement visuel à une descente aux enfers dont personne ne sort indemne, que ce soit le personnage de Babe / Dustin Hoffman ou le spectateur.
Thriller mais aussi critique sans appel de l’Humanité par le biais de 2 moments cruciaux de l’Histoire – la Shoah et la Chasse aux Sorcières – le film, baigné dans la musique minimaliste et sombre de Michael Small, nous plonge jusqu’au tréfonds de l’âme humaine pour une expérience en apnée des plus éprouvantes.
Alternant les (fausses) accalmies et les scènes chocs imprévisibles, MARATHON MAN est ponctué de temps forts et inoubliables : la séquence de torture, l’attaque de Doc / Roy Scheider, Szell reconnu alors qu’il traverse un quartier juif de New York, l’accident de voitures dans un quartier animé de Big Apple, la poursuite entre Babe et ses ennemis, le même attaqué dans son appartement…
Inoubliable, MARATHON MAN est probablement le meilleur film de Schlesinger. Un thriller haletant doublé d’un devoir de mémoire pour ne pas oublier les horreurs de l’Histoire.
MARATHON MAN (1976) de John Schlesinger.
Avec Dustin Hoffman, Laurence Olivier, Roy Scheider, Marthe Keller, William Devane…
Scénario : William Goldman d’après son roman. Musique : Michael Small.
Crédits photos : Paramount Pictures