Comme le chantait avec talent le grand Charles, je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Voire même les moins de 40 ans.
Imaginez un agent secret « groovy » issu des années 60, ancré dans son époque, entouré de belles femmes… Non, il ne s’agit pas du James Bond interprété alors par Sean Connery. Encore moins du délirant Austin Powers créé par Mike Myers.
J’évoque bien évidemment le seul et unique Derek Flint, cousin américain du britannique 007, agent très spécial de deux films aujourd’hui oubliés… ou presque.
La décennie des agents secrets
Les années 60 furent sans conteste les années des agents secrets de toute sorte. En pleine Guerre Froide entre ex-URSS et États-Unis, Le film JAMES BOND CONTRE Dr NO va imposer l’image « romantique » de l’espion auprès du grand public. Véritable surhomme alliant intelligence, charme et sex-appeal, l’agent secret devient le héros ultime des temps modernes auquel tous les hommes veulent ressembler, tandis que la gente féminine en fait l’une de ses nouvelles idoles.
Alors que les films tirés des romans de Ian Fleming s’enchaînent avec toujours plus de succès, la concurrence se doit de répliquer : les productions cinématographiques et télévisuelles, prenant le monde de l’espionnage pour cadre, se développent à grande vitesse, déclinant le genre sous toutes ses formes.
Aventures aux limites de la parodie pour DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX (THE MAN FROM UNCLE), fantastique et humour anglais pour CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR, western aux frontières du fantastique pour LES MYSTÈRES DE L’OUEST (THE WILD WILD WEST), réalisme et suspense pour DESTINATION DANGER (DANGER MAN) ou comédie burlesque avec MAX LA MENACE (GET SMART), la télévision n’est pas en reste et offre au public de nombreuses déclinaisons de l’espionnite.
De son côté, le cinéma suit le mouvement avec des personnages créés pour l’occasion ou puisés dans la littérature : Harry Palmer, interprété par le flegmatique Michael Caine dans la trilogie IPCRESS : DANGER IMMÉDIAT, MES FUNÉRAILLES À BERLIN et UN CERVEAU D’UN MILLION DE DOLLARS d’après les romans de Len Deighton; Dean Martin dans la peau de MATT HELM ; OSS 117, le cousin de Bond créé par Jean Bruce et dont la pleïade d’aventures inspirèrent une série de films « made in France », 40 ans avant les parodies avec Jean Dujardin…
Le flegme de Flint
Au sein de cette « espionnite aigue », l’agent américain Derek Flint va marquer l’époque par sa nonchalance, son humour et la tonalité « pop » de ses aventures.
Flint est issu de l’imagination de Hal Fimberg, un auteur pour la radio et écrivain spécialisé dans la comédie, connu pour ses scénarios de films pour les Marx Brothers comme GO WEST ou THE BIG STORE ou pour le duo Abbott et Costello.
Dans la peau du flegmatique Flint, James Coburn – révélé par ses rôles dans CHARADE, LES 7 MERCENAIRES ou LA GRANDE ÉVASION – apporte au personnage sa longue silhouette, son sourire tout en dents, ses pommettes saillantes et ses yeux rieurs.
Le personnage de Flint lui va comme un gant. Cet agent secret hors norme a 3 épouses / concubines, parle plusieurs langues couramment comme il dialogue avec les dauphins, pratique le karaté mieux que Bruce Lee et tous ses sosies, danse occasionnellement au Bolchoï et ne dispose, à titre de gadget, que d’une petite broche métallique à multiples usages ou d’un briquet multi-tâches !
Insaisissable, charmeur, toujours entouré de jolies filles qu’il séduit d’un simple regard, Flint est un 007 dont on a poussé les curseurs de l’improbabilité au plus haut niveau ! Il ne se départit jamais de son flegme légendaire, quelle que soit la situation, sur Terre, en mer et même dans l’espace.
2 films et puis s’en va…
Deux films pour le cinéma vont être réalisés autour du personnage de Derek Flint : NOTRE HOMME FLINT de Daniel Mann (MERCREDI SOIR 9 HEURES…, JUDITH, WILLARD…) en 1966 et F COMME FLINT de Gordon Douglas (LE DÉTECTIVE, LA FEMME EN CIMENT, APPELEZ-MOI MONSIEUR TIBBS…) en 1967.
En 1976, une tentative d’adaptation du personnage pour la télévision américaine voit le jour sous la forme d’un pilote pour une série. Intitulé OUR MAN FLINT : DEAD ON TARGET avec Ray Danton dans le rôle de Flint, le téléfilm n’est pas un succès d’audience et le projet de série tombe à l’eau…
Pour en revenir aux deux films, leurs récits sont sujets aux délires pop de la fin des années 60, avec toutefois de légères « résonances sociales » toujours d’actualité.
Dans NOTRE HOMME FLINT, un groupe de savants fous fait un chantage aux nations du monde en déclenchant une série de catastrophes telles des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre.
Le récit du film suivant, F COMME FLINT, voit une organisation de femmes kidnapper les hommes d’états pour les remplacer par des sosies, et ainsi prendre le contrôle de la planète.
Ces deux films ne sont bien sûr pas à prendre au sérieux. Représentatifs de l’esprit « beatnik » de la fin des 60’s, ils offrent tous les deux un véritable panorama des courants vestimentaires, musicaux et de décoration de la fin de cette décennie.
Esprit Pop et décalage
Le personnage de Flint reflète totalement l’esprit décalé et « pop » de la fin des années 60. S’il est un cousin « lounge » de 007, il ne doit rien à Austin Powers, comme le décrivent trop rapidement et maladroitement de nombreux sites et articles d’aujourd’hui… parce qu’Austin Powers fut créé 30 ans plus tard ! C’est plutôt l’inverse et Austin Powers qui doit beaucoup à Flint
Cet ancrage dans une époque insouciante a certainement limité le personnage dans un contexte spécifique, difficilement transposable aujourd’hui. D’où son probable passage rapide au cinéma…
La réalité est toutefois plus « terre à terre ». F COMME FLINT, le second film, eut moins de succès à sa sortie et la 20th Century Fox choisit de ne pas prolonger l’aventure.
Reste que le personnage contribua grandement à la reconnaissance internationale de James Coburn et fit de lui une tête d’affiche, après l’avoir très souvent partagé avec d’autres acteurs.
Aux côtés de Flint / Coburn, l’autre personnage récurrent est Lloyd Cramden, interprété par Lee J. Cobb., l’ex-patron de Flint et directeur de l’agence gouvernementale Z.O.W.I.E. Cobb reste célèbre pour des rôles beaucoup plus sérieux dans L’HOMME DE L’OUEST, 12 HOMMES EN COLÈRE, UN SHÉRIF À NEW YORK ou L’EXORCISTE.
Ces 2 films donnèrent aussi l’occasion à Jerry Goldsmith de s’imposer en tant que compositeur de musiques de films et de démontrer sa diversité, jouant cette fois sur des tonalités pop / rock et easy listening.
L’illustrateur et peintre américain Bob Peak réalisa les affiches des deux films. Réputé pour ses nombreux travaux publicitaires dans les années 60 et 70, il utilisa son style inimitable pour de nombreuses affiches de films comme MY FAIR LADY, MODESTY BLAISE, STAR TREK THE MOTION PICTURE ou APOCALYPSE NOW.
Si les deux aventures cinématographiques de Flint furent adaptées sous la forme de romans, il faudra attendre 2011 pour voir le super agent-secret devenir un héros de comics par le biais d’un « one-shot » chez Moonstone Books.
Référence d’une époque et d’un courant culturel toujours marquant plus de 50 ans plus tard, Flint demeure une pépite savoureuse et vintage, véritable modèle pour de nombreuses créations récentes et madeleine appréciable en ces temps trop sérieux.
NOTRE HOMME FLINT (1966) de Daniel Mann.
Avec James Coburn, Lee J. Cobb, Gila Golan, Edward Mulhare, Rhys Williams, Peter Brocco…
Scénario : Hal Fimberg et Ben Starr. Musique : Jerry Goldsmith.
F COMME FLINT (1967) de Gordon Douglas.
Avec James Coburn, Lee J. Cobb, Jean Hale, Andrew Duggan, Anna Lee, Hanna Landy…
Scénario : Hal Fimberg. Musique : Jerry Goldsmith.
Crédits photos : © 20th Century Fox