Avant toutes choses, un petit éclaircissement s’impose : je ne suis pas un fan éperdu de Quentin Tarantino. Je ne déteste pas pour autant tous ses films.
Pour être plus précis, vous ne me verrez jamais m’emballer comme la « tradition » l’exige lorsque le sieur QT annonce qu’il va tourner un nouveau film ou une pub pour une marque de béret ou le nouvel épisode d’une série tendance.
Quand j’évoque la « tradition », je veux parler de ces « cinéphiles » en transe à la moindre annonce de Quentin le vaurien. Dans notre pays du gros rouge qui tache et de l’entraide même en cas de pandémie, il est de bon ton de se liquéfier lorsque Tarantino évoque l’idée de faire un remake du PEAU D’ÂNE de Jacques Demy avec Samuel L. Jackson en roi des gangsters. Calmez-vous, laissez tomber votre recherche Googleuh, tout ceci n’est qu’un exemple que je viens d’inventer.
Les premiers films de QT m’ont sincèrement emballé. Et je continue d’apprécier PULP FICTION ou les 2 volets de KILL BILL plusieurs années après leurs sorties, même si je me suis endormi en revoyant RESERVOIR DOGS (là, je sens que je vais me faire lyncher…).
L’objet de ce nouvel article se porte sur le film que je considère comme le meilleur Tarantino, et de loin, le mieux filmé, le plus sincère et maîtrisé : JACKIE BROWN. Retour sur un film nostalgique et touchant.
D’après un roman d’Elmore Leonard
Derrière le scénario de JACKIE BROWN, il y a PUNCH CRÉOLE – RUM PUNCH en VO – un roman d’Elmore Leonard publié aux débuts des années 90. Disparu en 2013, Leonard est principalement connu en littérature pour ses récits western comme 3H10 POUR YUMA ou HOMBRE qui seront adaptés au cinéma.
Elmore Leonard écrira également des scénarios originaux pour le cinéma comme celui de JOE KIDD de John Sturges avec Clint Eastwood en 1972.
Les années 90 le placeront à l’honneur à Hollywood avec des adaptations de GET SHORTY en 1995, JACKIE BROWN en 1996 et HORS D’ATTEINTE en 1998.

Si les récits d’Elmore Leonard respectent les codes du polar ou du western, l’ensemble est teinté d’humour, d’une forme de décontraction ou de distance qui rend souvent ses personnages principaux humains et attachants car imparfaits.
Adaptation
Avec son complice Roger Avary avec qui il a travaillé sur RESERVOIR DOGS et PULP FICTION, Tarantino a acquis les droits d’adaptation de plusieurs romans d’Elmore Leonard.
Dans un premier temps, il n’envisage pas de réaliser l’adaptation de PUNCH CRÉOLE mais se ravise et choisit d’en faire un hommage à la Blaxploitation des années 70 – dont le titre le plus célèbre fut SHAFT avec Richard Roundtree – en y apportant plusieurs modifications.
Ainsi, d’une femme blanche aux cheveux courts, Tarantino fera de l’héroïne de l’histoire une femme noire d’une quarantaine d’années : JACKIE BROWN était née.
Soucieux d’avoir le « consentement » de Leonard, Tarantino lui présente sa version de l’histoire et des personnages. L’auteur et romancier est emballé et rassure le cinéaste qui démarre la production du film.
De Foxy à Jackie
Comme déjà évoqué, Tarantino souhaite rendre hommage aux films de la Blaxploitation avec JACKIE BROWN. Il va ainsi chercher l’actrice Pam Grier pour incarner son héroïne et la replacer sur le devant de la scène.
Même si c’est un peu « douloureux » à dire, en 1997, plus personne, ou presque, ne se souvenait de Pam Grier, votre humble serviteur inclus. Actrice américaine, elle fut la star de la Blaxploitation dans les années 70 avec des œuvres cultes comme FOXY BROWN ou COFFY LA PANTHÈRE NOIRE DE HARLEM. Des séries B violentes ou la belle, souvent dénudée, se vengeait de ses ennemis à grands coups de fusil à pompe et de crash de voitures après avoir enduré les pires sévices…
Après cette « période dorée », Pam Grier retomba dans l’anonymat, éloignée des plateaux hollywoodiens si ce n’est quelques seconds rôles oubliables. JACKIE BROWN marquera une « renaissance » pour l’actrice, Tarantino lui offrant une véritable déclaration amoureuse et certainement son meilleur rôle.
Casting punchy nostalgie
Autour de Pam Grier, Tarantino a composé un très beau casting. Samuel L. Jackson, fidèle parmi les fidèles, revient dans le rôle d’un truand roublard et antipathique, avec un nouveau look très éloigné de sa coupe afro dans PULP FICTION. Si l’acteur a déjà plusieurs films dans sa carrière, dont DO THE RIGHT THING et MO’ BETTER BLUES de Spike Lee ou JEUX DE GUERRE avec Harrison Ford, les films de Quentin Tarantino le placeront en tête d’affiche avant d’autres rôles de premier plan dans INCASSABLE, UNE JOURNÉE EN ENFER ou AVENGERS.
C’est un peu la situation inverse qu’a connu Bridget Fonda, fille de Peter, nièce de Jane et donc petite-fille de Henry. Les années 90 la voient enchaîner les rôles dans NOM DE CODE : NINA (un remake de NIKITA), JF PARTAGERAIT APPARTEMENT, LE PARRAIN 3, LITTLE BUDDHA ou UN PLAN SIMPLE. Il semblerait à ce jour qu’elle n’ait plus tourné de films depuis près de 20 ans…
On ne présente plus Robert « You talkin’ to me ? » De Niro, révélé dans les années 70 pour ses rôles chez Martin Scorsese comme TAXI DRIVER ou RAGING BULL. Ont suivi des œuvres marquantes comme IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE, MISSION, CASINO, HEAT, COPLAND et récemment JOKER. Depuis quelques années, l’acteur s’oriente plutôt vers des comédies « grand public » comme MON BEAU-PÈRE ET MOI.
Révélé par BEETLEJUICE et BATMAN de Tim Burton, Michael Keaton a enchaîné depuis les rôles de bons ou de méchants dans des polars ou des comédies comme FENÊTRE SUR PACIFIQUE, MES DOUBLES, MA FEMME ET MOI ou L’ENJEU. Son dernier film marquant est BIRDMAN où il interprète un acteur cherchant à se débarrasser de l’image étouffante… d’un personnage de super-héros interprété dans le passé ! À noter que dans JACKIE BROWN, Michael Keaton interprète le flic Ray Nicolette, personnage qu’il reprendra dans HORS D’ATTEINTE de Steven Soderbergh d’après un autre récit d’Elmore Leonard !
Cerise sur le gâteau avec Robert Forster dans le rôle de Max Cherry (!), un chargé de caution usé par la vie et qui retrouve une seconde jeunesse en tombant amoureux de Jackie Brown. Disparu en octobre 2019, Robert Forster fut révélé par REFLETS DANS UN ŒIL D’OR de John Huston. Il a tourné principalement pour le cinéma dans des films de genre comme DON ANGELO EST MORT, LE TROU NOIR, L’INCROYABLE ALLIGATOR ou DELTA FORCE. Comme pour Pam Grier, JACKIE BROWN relancera sa carrière. On le retrouvera aussi dans des séries tv comme DESPERATE HOUSEWIVES, HEROES, TWIN PEAKS (saison 3) ou BETTER CALL SAUL.
Musique et réception
Comme pour chacun de ses films, Quentin Tarantino va accorder à JACKIE BROWN une playlist – plutôt qu’une Bande Originale – de premier choix, emmenée par ACROSS 110th STREET de Bobby Womack, titre lui-même extrait du film de 1972 MEURTRES DANS LA 110ème RUE de Barry Shear avec Anthony Quinn et Yaphet Kotto.
À sa sortie, JACKIE BROWN connaît de bonnes critiques mais si l’accueil du public est bon lui aussi, les recettes du film sont inférieures à celles de PULP FICTION.
JACKIE BROWN va ainsi marquer une césure chez les « Tarantinophiles » : certains lui reprocheront son rythme lent et son absence de signes distinctifs à la mode QT – comprenez : des gangsters en costumes noirs et du sang qui gicle entre deux insultes – lorsque d’autres y voient une belle évolution vers plus de profondeur.
J’appartiendrais plutôt à cette seconde catégorie. Comme je le disais déjà dans l’introduction de cet article, JACKIE BROWN m’apparaît comme le meilleur film de Quentin Tarantino. Est-ce du au fait qu’il est ici question de l’adaptation d’un roman et non d’un scénario original ? C’est bien probable.
Les héros de JACKIE BROWN se démarquent des autres personnages Tarantinesques par leur consistance. Si dans PULP FICTION ou KILL BILL les caractères proposés n’en demeurent pas moins marquants et / ou attachants, ceux de JACKIE BROWN possèdent cette crédibilité qui fait souvent défaut au cinéaste.
Il y a chez Jackie Brown / Pam Grier cette force et cette vulnérabilité d’une femme manipulée des deux côtés de la Loi, choisissant de ne plus tolérer cette situation et manipulant à son tour une poignée de types trop sûrs d’eux. Une « Lady Next Door », authentique et sincèrement attachante dans son vécu peu engageant, désireuse d’une autre vie avant qu’il ne soit trop tard.
Il y a aussi, dans ce brillant opus du sieur QT, cette belle idée de ne pas sombrer dans le jeunisme. Sans être bons pour la casse, ses héros n’ont plus 20 ans. Ils traînent leurs passés sur leurs visages. Et il n’est nul besoin d’en savoir plus pour comprendre leurs envies d’un ailleurs.
On pourra juste reprocher à Tarantino de ne pas opter pour une fin plus heureuse, moins mélancolique, où Max Cherry et Jackie Brown ne s’éloignent pas l’un de l’autre. Mais on est au cinéma. Et après tout, tout est encore possible.
JACKIE BROWN (1997) de Quentin Tarantino.
Avec Pam Grier, Robert Forster, Samuel L. Jackson, Robert De Niro, Michael Keaton, Bridget Fonda…
Scénario : Quentin Tarantino d’après PUNCH CRÉOLE d’Elmore Leonard.
Le grand Elmore, également inventeur du tandem Raylan Givens/Boyd Crowder. Un écrivain que j’adore.
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