Retour sur l’un des films les plus originaux, inclassables et iconiques du début des années 2000 : LA VIE AQUATIQUE de Wes Anderson.
Un projet de longue date
De nombreux projets cinématographiques commencent par l’adaptation d’une œuvre littéraire, comme c’est souvent le cas sur ce blog lorsque j’évoque les coulisses d’un film. Ça n’est pourtant pas le cas de LA VIE AQUATIQUE (THE LIFE AQUATIC WITH STEVE ZISSOU en VO).

À la base du film, il y a l’engouement du cinéaste américain Wes Anderson pour les récits d’aventures et de plongée sous-marine, et plus particulièrement des documentaires télévisés de L’ODYSSÉE SOUS-MARINE DE L’ÉQUIPE COUSTEAU.
Les plus âgés d’entre vous – dont votre humble serviteur – se souviennent sans doute de cette série d’émissions, diffusées généralement les après-midi du week-end, où le Commandant Jacques-Yves Cousteau et son équipe exploraient les océans du globe à bord du bateau la Calypso. Dynamiques et exotiques, ces documentaires nous faisaient voyager et donnaient une tonalité (faussement) réaliste à l’aventure… avant que l’on ne découvre bien plus tard les (grosses) ficelles de mise-en-scène de ces productions, ainsi que la désagréable personnalité du très controversé Cousteau.

De 1968 à 1976, ces émissions marquèrent de nombreux jeunes gens dont Wes Anderson. Il est encore au lycée lorsqu’il développe les prémisses des aventures de Steve Zissou, un océanographe inspiré de Cousteau dont le nom est un hommage au frère aîné du photographe et peintre Jacques Henri Lartigue.
À la poursuite du requin-jaguar
L’histoire de LA VIE AQUATIQUE suit un célèbre océanographe en perte de succès, Steve Zissou (Bill Murray), devenu désabusé après la mort de l’un de ses proches collaborateurs, Esteban (Seymour Cassel), tué par un requin-jaguar.

Zissou s’est juré de retrouver le squale et de venger son ami. Sur son navire le Belafonte, accompagné de son épouse Eleanor (Anjelica Huston qui finance ses expéditions et de son équipe composée, entre autres, de Klaus Daimler (Willem Dafoe) et Pelé dos Sentos (Seu Jorge), Zissou voit bientôt débarquer la journaliste Jane Winslett-Richardson (Cate Blanchett), venue faire un reportage sur lui, et le pilote d’avion Ned Plimpton (Owen Wilson) qui pourrait bien être son fils…

Comme déjà vu plus haut, LA VIE AQUATIQUE jette un regard ironique sur le personnage de Cousteau et ses documentaires. Avec une tonalité décalée où les gags absurdes, le non-sens et la mélancolie se mêlent, le film fait aussi un clin d’œil au Capitaine Achab du MOBY DICK d’Herman Melville, personnage que l’obsession pour une baleine blanche a rendu fou et solitaire.

Sans atteindre les excès de ce célèbre personnage de littérature, Steve Zissou ne vit que pour sa vengeance. Il en oublie les autres autour de lui et la beauté de l’océan.
Un cinéaste à part
Né à la fin des années 60, Wes Anderson s’oriente vers des études de philosophie tout en apprenant la réalisation et le montage de courts-métrages par la pratique.

En 1996, son 1er film, BOTTLE ROCKET, développé à partir de son 1er court-métrage du même nom, est un échec commercial mais lui permet d’être repéré par une partie de la critique. Cette première production est aussi l’occasion de se lier d’amitié avec la fratrie d’acteurs Wilson – dont Owen « Mr Oreo » Wilson, rencontré à l’université – au casting de plusieurs de ses films, dont LA VIE AQUATIQUE.
RUSHMORE est réalisé en 1998 et le fait connaître du public. Puis vient LA FAMILLE TENENBAUM en 2001 avec Gene Hackman, Anjelica Huston, Ben Stiller et Bill Murray.

Après LA VIE AQUATIQUE, Wes Anderson met en scène À BORD DU DARJEELING LIMITED, MOONRISE KINGDOM, THE GRAND BUDAPEST HOTEL. Il a également réalisé 2 films d’animation : FANTASTIC Mr FOX en 2010 et L’ÎLE AUX CHIENS en 2018.
Son dernier film, THE FRENCH DISPATCH, doit être distribué cette année 2020. Mais sa sortie a été modifié en raison de la crise du Covid 19 et n’a pas été précisé.
L’art de Wes Anderson
Scénariste, cinéaste, producteur, Wes Anderson est ce que l’on nomme un auteur. Ses films ont cette touche particulière qui n’appartient qu’à lui. Cette façon de préparer ses plans avec un soin particulier apporté au choix des couleurs, à la disposition des éléments de décor.
La construction de l’image chez Anderson se traduit par une symétrie dans le cadre et l’usage de couleurs franches et de tons pastels. On parle même aujourd’hui d’un véritable « Style Anderson », digne d’un décor de poupées.
Ses personnages apparaissent souvent comme figés dans le plan, tels les protagonistes d’une bande dessinée, les figurines d’un petit théâtre ou les modèles d’un tableau. D’une certaine façon, pour Anderson, chaque élément d’un plan fait partie du décor, objets et humains.
Bill, Cate, Owen et les autres
Pour LA VIE AQUATIQUE, Wes Anderson va de nouveau engager plusieurs de ses acteurs fétiches.

Bill Murray fait partie de ses habitués. Révélé par le Saturday Night Live au milieu des années 70, l’acteur est devenu célèbre avec des succès comme TOOTSIE, GHOSTBUSTERS ou UN JOUR SANS FIN. Il alterne les grosses productions (FANTÔMES EN FÊTE) et les films d’auteurs (LOST IN TRANSLATION, BROKEN FLOWERS). Pour Anderson et outre LA VIE AQUATIQUE, Murray a joué dans LA FAMILLE TENENBAUM, MOONRISE KINGDOM, THE GRAND BUDAPEST HOTEL, FANTASTIC Mr FOX et THE FRENCH DISPATCH.

Cate Blanchett alterne elle aussi les projets cinématographiques les plus divers, passant d’INDIANA JONES avec Steven Spielberg à I’M NOT THERE de Todd Haynes. On a pu la voir dernièrement dans KNIGHT OF CUP et SONG TO SONG de Terrence Malick, OCEAN’S 8 de Gary Ross et BERNADETTE A DISPARU de Richard Linklater.
Fille du célèbre réalisateur John Huston, Anjelica Huston fut l’inoubliable Morticia de LA FAMILLE ADAMS et LES VALEURS DE LA FAMILLE ADAMS. Elle joua également dans L’HONNEUR DES PRIZZIS, LES SORCIÈRES, CRÉANCE DE SANG, THE BIG YEAR et JOHN WICK PARABELLUM.

Venu de la scène comique américaine, Owen Wilson fut l’interprète de plusieurs films avec Ben Stiller, comme ZOOLANDER, MON BEAU-PÈRE ET MOI ou STARSKY & HUTCH. Il participa également aux films SHANGHAÏ KID avec Jackie Chan, MARLEY ET MOI avec Jennifer Anniston ou EN TERRITOIRE ENNEMI avec Gene Hackman.

Jeff Goldblum démarra sa carrière d’acteur dans les années 70 par de petites figurations et des séries tv (COLUMBO, TIMIDE ET SANS COMPLEXE). Ses rôles prirent plus d’importances avec, entre autres, L’INVASION DES PROFANATEURS ou L’ÉTOFFE DES HÉROS. Les succès de LA MOUCHE, JURASSIC PARK ou INDEPENDANCE DAY le consacrèrent comme un des acteurs favoris des geeks et des cinéphiles. Pianiste de talent, il a parallèlement produit 2 albums de jazz.

Habitué des rôles patibulaires, Willem Dafoe fut révélé en 1984/1985 dans LES RUES DE FEU de Walter Hill et POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES de William Friedkin. Son impressionnante carrière comprend de nombreux films comme PLATOON, SPIDER-MAN, L’OMBRE DU VAMPIRE, LES BRASIERS DE LA COLÈRE, SEVEN SISTERS ou BROOKLYN AFFAIRS.
Bowie en portugais
La bande originale de LA VIE AQUATIQUE a été confié à l’américain Mark Mothersbaugh. Compositeur, chanteur et peintre, il fut l’un des membres du groupe DEVO avec Gerald Casale et Bob Lewis.
Au cours de ses multiples activités artistiques, Mothersbaugh a composé plusieurs musiques de films (BIENVENUE À COLLINWOOD, FANBOYS, HÔTEL TRANSYLVANIE) et a créé les BO des films de plusieurs réalisations de Wes Anderson (BOTTLE ROCKET, RUSHMORE, LA FAMILLE TENENBAUM).

Outre la BO du film, LA VIE AQUATIQUE est illustré par plusieurs reprises en portugais de titres de David Bowie par Jorge Mário Da Silva dit Seu Jorge. Musicien et acteur d’origine brésilienne, Seu Jorge connaît un premier succès à la fin des années 90 avec le groupe FAROFA CARIOCA avant d’entamer une carrière solo 3 ans plus tard.
Dans LA VIE AQUATIQUE, le musicien brésilien joue également le personnage de Pelé dos Santos, un des membres de l’équipage du Belafonte. Outre le film d’Anderson, on a pu voir Seu Jorge dans LA CITÉ DE DIEU en 2002.
Tournage à Cinecittà
Les scènes d’intérieur de LA VIE AQUATIQUE furent tournées en Italie, dans les mythiques studios de Cinecittà, dont les séquences se déroulant à bord du Belafonte. Inspiré par la Calypso, le navire d’exploration de Cousteau, le Belafonte fut réalisé sur la base d’un vieux démineur des années 50, agrémenté de quelques suppléments.
L’Italie fut également choisi pour les extérieurs du film avec Naples, Rome, Florence et les îles Pontine entre la Corse, la Sardaigne et la Sicile.

Afin de leur donner un grain particulier, les extraits des documentaires de Steve Zissou furent tournés sur une pellicule Ektakrome. Les séquences servirent par la suite de base pour effectuer un étalonnage numérique sur l’ensemble du long-métrage.

Le stop-motion fut employé pour les séquences où figurent des animaux aquatiques, afin de s’éloigner des reportages Discovery Channel et aborder la partie « imaginaire » voulue par Wes Anderson pour le film. Ainsi, le requin-jaguar, inventé pour l’histoire, mesurait plus de 3 m et demeure encore le modèle le plus imposant jamais construit pour cette technique d’animation.
Gros budget, gros échec
À sa sortie, LA VIE AQUATIQUE connaît des critiques mitigées aux États-Unis, où il est moins bien accueilli qu’en France.
Mais avec un budget de plus de 50 millions de dollars pour des recettes n’en atteignant pas la moitié, le film est un gros échec commercial pour Wes Anderson. Marqué par ce rejet du public, le cinéaste enchaînera avec des tournages à ambitions plus modestes, même si le faste de GRAND BUDAPEST HOTEL fait penser le contraire…

LA VIE AQUATIQUE connut, dans un premier temps, un certain succès d’estime auprès des fans du cinéma de Wes Anderson. C’est avec le temps que le film accéda au fameux statut d’œuvre culte, probablement lié à l’engouement pour Bill Murray et son excentricité, faisant les beaux jours du net.
Pourtant, si le récit et ses situations peuvent décontenancer les non-habitués de l’œuvre poético-burlesque et mélancolique d’Anderson, LA VIE AQUATIQUE vaut bien plus qu’une œuvre fétiche pour cinéphiles. Regard doux amer sur la notoriété, l’obsession et les rapports père / fils, le film est une œuvre à part, loin de de ce que l’on voit trop souvent au cinéma ces dernières années. Et c’est déjà beaucoup.

LA VIE AQUATIQUE (2004) de Wes Anderson.
Avec Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett, Anjelica Huston, Willem Dafoe, Seu Jorge…
Scénario : Wes Anderson et Noah Baumbach. Musique : Mark Mothersbaugh et Seu Jorge.
Crédits photos : Buena Vista Pictures / Buena Vista International