Ça n’est pas la première fois que je prends à contre-courant le Ciné-Club de Potzina. Avec “les enfants” comme thème de ce mois de février, quoi de plus normal alors que d’évoquer Damien, “héros” de LA MALÉDICTION de Richard Donner, excellent thriller d’épouvante de 1976 prouvant qu’on peut être l’Antéchrist et aimer les pâtés de sable sur la plage ! Lorsque l’enfant paraît, le Diable n’est jamais loin.
Si vous n’avez encore jamais vu LA MALÉDICTION, cette chronique comporte quelques spoilers nécessaires mais révélateurs de moments-clés du film. Vous voilà prévenus…
L’origine du mal

L’année 1973 est marquée par la sortie et l’énorme succès (pour une production de ce genre) du film L’EXORCISTE de William Friedkin. Hasard ou coïncidence, le scénariste-romancier David Seltzer développe une idée simple mais d’une efficacité diabolique : se basant lui aussi sur une terreur liée à l’impensable – le Mal venant d’un enfant – il imagine, en puisant dans les écrits de la Bible et de l’Apocalypse, la venue de l’Antéchrist dans notre monde contemporain. Plus question d’un enfant possédé… mais du fils de Satan en personne !
Seltzer en fait un roman, LA MALÉDICTION (THE OMEN en VO), et en tire un scénario. Katherine Thorn, l’épouse de Robert Thorn, ambassadeur des États-Unis à Londres, vient d’accoucher d’un enfant mort-né. Soucieux de préserver sa femme, Robert lui cache la vérité et accepte la proposition d’un prêtre d’adopter illégalement un enfant abandonné. Le petit est prénommé Damien et comble de bonheur le couple. Mais après quelques années sans incidents, une série d’évènements tragiques amènent les Thorn à voir en Damien la source des drames…
Seltzer propose le script à la Warner. Mais le studio, surfant sur le carton de L’EXORCISTE, préfère se fixer sur la suite de son film horrifique que de développer un autre projet. À la 20th Century Fox, Alan Ladd Jr accepte le scénario de Seltzer qui tombe entre les mains du réalisateur Richard Donner.
Venant de la télévision – où il a dirigé entre autres l’excellent épisode de la TWILIGHT ZONE “Cauchemar à 20 000 pieds” – Donner n’a a son actif que quelques films qui ne lui ont pas vraiment permis de faire décoller sa carrière. Il aime le script de Seltzer et souhaite en faire un thriller réaliste plutôt qu’un film gore et gothique.
Chercher le petit garçon
Doté d’un petit budget de 2,8 millions de Dollars, le casting commence par les refus successifs de Charlton Heston, Dick Van Dyke, William Holden et Roy Scheider pour incarner Robert Thorn. Traversant une période d’accalmie, Gregory Peck accepte le rôle, apportant un gage de crédibilité sur le film qui permettra de réellement démarer sa production.

Découverte par Elia Kazan et vue entre autres dans LE JOUR DU VIN ET DES ROSES de Blake Edwards avec Jack Lemmon, la belle Lee Remick est choisie pour incarner Katherine Thorn. Célèbre pour avoir interprété le deuxième docteur de la série DOCTOR WHO, Patrick Troughton obtient le rôle du Père Brennan. Acteur britannique vu dans LES CHIENS DE PAILLE, UN NOMMÉ CABLE HOGUE, C’ÉTAIT DEMAIN, TRON et TITANIC, David Warner interprète le reporter-photographe Keith Jennings, aide précieuse pour Robert Thorn lors de ses investigations. Après LEO THE LAST avec Marcello Mastroiani et FRENZY d’Alfred Hitchcock, l’actrice Billie Whitelaw est retenue pour le rôle de la démoniaque et terrifiante nurse Mme Baylock.
Reste à trouver l’interprète idéal du personnage de Damien. Richard Donner souhaite un enfant qui puisse inspirer la crainte comme la compassion. Il fait passer des auditions à plusieurs petits garçons et leur demande, comme test révélateur, de se ruer sur lui en relâchant toute leur colère.
Harvey Stephens, un enfant blond âgé de 4 ans lors de l’audition, se rue sur Donner et le frappe sans retenue… sous la ceinture ! Le cinéaste a beau lui dire de s’arrêter, le jeune Harvey continue de le rouer de coups. Saisi par sa frénésie, Donner le sélectionne pour le rôle de Damien, choisissant toutefois de le teindre en brun et de lui faire porter des lentilles pour obtenir un regard plus perçant.

Moins de sang mais plus de châtiments !
Richard Donner veut orienter son film sur la peur suggérée. Pas question d’effets gore à foison ! Le cinéaste joue sur les regards des différents protagonistes du film pour instaurer un climat anxiogène intense.
Époque oblige, les effets spéciaux digitaux ne sont pas de mise et toutes les astuces possibles en 1976 sont exploitées pour la réalisation de scènes devenues cultes. Compte tenu du budget du film, il faut parfois ruser, quite à prendre certains risques… Au cours de la séquence du zoo, où Damien et Katherine traversent le parc des singes à bord d’une voiture, les babouins sont censés s’énerver au contact de la présence maléfique de l’enfant. Après plusieurs essais infructueux, les primates s’avérant trop calmes pour la scène, le vétérinaire du zoo propose à la production d’utiliser le mâle dominant du groupe pour provoquer la colère de ses congénères.
Quoi qu’il en soit, le mâle dominant des babouins doit subir une légère intervention pour une blessure à la tête. L’animal est endormi, est placé à l’arrière du véhicule dans lequel se trouvent Lee Remick, le petit Harvey Stephens, le vétérinaire et Richard Donner à la caméra. Roulant doucement, le véhicule se trouve soudainement envahi par une horde de singes déchaînés ! Au final, pas de casse mais une grosse angoisse de la production… et une bonne crise de nerfs pour Lee Remick, réellement paniquée à l’écran !

Lors de la scène nocturne du cimetière, où Robert Thorn et Keith Jennings découvrent le corps de la véritable “mère” de Damien, les deux hommes doivent être attaqués par une meute de chiens féroces. La production utilise des Rottweilers dressés pour l’occasion mais en manque “affectif” trop prononcé. Au lieu de se jeter sur les doublures des deux acteurs, les chiens profitent du rassemblement pour s’accoupler devant les caméras ! La magie du montage et des inserts de gros plans de leurs têtes feront le reste pour éviter de verser dans le scabreux…
Enfin, l’une des séquences inoubliables du film reste le châtiment octroyé au photographe Jennings. Le personnage est censé se faire décapiter par une plaque de verre tombant à la verticale vers sa pauvre victime. Devant la trop grande difficulté de la scène, l’équipe technique choisit de faire glisser la plaque à l’horizontal d’un camion dévalant une pente vers le personnage. Un mannequin à l’effigie de David Warner et à la tête amovible est créé pour l’occasion.

Avec une batterie de caméras pour ne faire qu’une prise, Donner compte sur un fait établi pour provoquer l’effroi des spectateurs : les âmes sensibles se cachent les yeux lors d’une telle séquence pour ne les rouvrir qu’après avoir compté jusqu’à 3 ! Joueur, le cinéaste choisit de parier la carte du spectaculaire en faisant tourner au ralenti la tête tranchée, une fois le décompte des spectateurs teminé- mais sans ajout d’hémoglobine – créant ainsi une scène inoubliable. Il est dit que David Warner refusa de voir la séquence achevée, traumatisé par le résultat final…
Malédiction sur La Malédiction ?

De nombreux incidents émaillèrent le tournage de LA MALÉDICTION, alimentant la presse avide de sensations fortes… et renforçant la publicité faîte autour du film lors de sa sortie. Ainsi, sur 2 vols et 2 engins différents, les avions de David Seltzer et Gregory Peck furent touchés par la foudre. Richard Donner faillit perdre l’une de ses jambe qui était restée bloquée dans la portière d’une voiture.
L’équipe de tournage échappa de justesse à un accident d’avion, dont l’un des moteurs fur endommagé par une nuée d’oiseaux et qui s’écrasa en bout de piste. Plus dramatique encore, le responsable des effets spéciaux John Richardson eut un accident de voiture qui coûta la vie à sa compagne… décapitée lors du drame ! Difficile lorsque l’on tourne un film fantastique nommé LA MALÉDICTION de ne pas y voir de troublants échos. Faits amplifiés ou déformés, on ne peut cependant nier le fait qu’un tournage de film comporte souvent de multiples anecdotes de ce genre…
Avec un certain cynisme, la Fox usa de ces drames pour alimenter la promotion du film en organisant plusieurs avant-premières. Et la sortie du film eut lieu le 06/06/1976, incluant le signe “666” lié à la bête de l’Apocalypse. Il n’y a pas de petits profits !
Un Oscar pour Jerry Goldsmith

Le film de Richard Donner ne serait pas ce qu’il est sans la bande originale de Jerry Goldsmith. Avec une musique puissante et effrayante, le maestro utilise pour la première fois des chants grégoriens pour donner à l’ensemble l’ambiance inquiétante d’une messe noire.
Lors de l’enregistrement du thème principal, Goldmsith songe à un “Ave Maria” inversé et nomme le titre “Ave Satani”. Plus tard, alors que l’Oscar de la meilleure musique de film doit être attribué pour l’année 1977, le compositeur s’apprête à repartir bredouille comme il l’a déjà été par le passé. Mais la statuette lui est décernée, l’unique de sa carrière déjà prolifique à l’époque.
La grande réussite de cette bande originale ne vient pas uniquement de son côté avant-gardiste et sombre. Si Jerry Goldsmith n’hésite pas à user d’incantations chuchotées pour créer le trouble, il contrebalance cette noirceur par de délicats morceaux pour évoquer le couple puis la famille Thorn.
En signant une partition tout à la fois hors-norme et en totale adéquation avec le film, l’auteur imposait l’une de ses plus belles compositions.
Succès, franchise et remake
LA MALÉDICTION fut un énorme succès lors de sa sortie en salles. Engrangeant à l’époque plus de 60 millions de dollars rien qu’aux États-Unis, le film eut 2 suites en 1978 et 1981, voyant le personnage de Damien adolescent puis adulte, jeune sénateur visant la présidence !
Un 4ème volet fut produit pour la télévision dans l’indifférence. Et un remake fut réalisé et distribué le 6 juin 2006, avec Liev Schreiber et Julia Stiles dans le rôle de Robert et Katherine Thorn. Une re-création inutile comme souvent, tant on a affaire à un simple copié-collé plus ou moins adapté aux goûts du jour. Et histoire de ne pas perdre le filon et l’exploitation du chiffre 6, une série tv, DAMIEN, est annoncé pour le cours de l’année 2016…
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le succès du film lança, entre autres, la carrière de Richard Donner, lui donnant l’oportunité de devenir un cinéaste qui compte, et de réaliser 2 ans plus tard SUPERMAN avec Christopher Reeve.

Le film de Richard Donner demeure le plus réussi de toute la franchise. De par sa volonté de ne pas plonger dans l’horreur gothique mais d’établir un environnement réaliste, le cinéaste a su créer une prodigieuse sensation d’angoisse. Comme Robert Thorn, on est tout d’abord incrédule avant de sombrer dans le doute et la peur.
Chaque séquence terrifiante intervient dans un contexte tranquille, avec une lente montée qui nous fait comprendre l’inévitable. Mais rien n’est clairement établi comme étant totalement surnaturel : le suicide spectaculaire de la nurse, l’attaque des singes, le camion sans freins qui dévale la pente… Tout peut être interprété comme une suite de coïncidences. Et les adorateurs du charmant bambin ne seraient après tout que de purs fanatiques.
L’économie de moyens brusquement interrompue par l’intensité de scènes chocs, la crédibilité de grands acteurs jouant comme si leurs vies en dépendaient, la noirceur envoutante de la musique de Jerry Goldsmith… l’ensemble de ces éléments contribue à faire de LA MALÉDICTION un excellent moment de terreur pure.

Enfin, bien sûr, le choc du film vient de la source même de la menace : un petit garçon au visage poupin, aux réactions parfois excessives, certes, mais si attendrissant dans les bras de ses parents. Comme l’affirmait avec brio le film de Bryan Singer USUAL SUSPECT, “la grande réussite du Diable, c’est d’avoir fait croire qu’il n’existait pas”. Dans LA MALÉDICTION, la grande force du Mal est de prendre l’apparence d’un bambin de 5 ans.
Si le cinéma fantastique inspiré des croyances religieuses et des interprétations bibliques est spectaculairement représenté par L’EXORCISTE, le film de Richard Donner, plus accessible à tous et bien moins outrancier dans la représentation du Mal, n’en demeure pas moins une excellente vision à (re)découvrir.
Cet article fait partie du Ciné-Club de Potzina de Février 2016
LA MALÉDICTION (1976) de Richard Donner.
Avec Gregory Peck, Lee Remick, David Warner, Patrick Troughton, Billie Whitelaw, Harvey Stephens…
Scénario : David Seltzer. Musique : Jerry Goldsmith.
Crédits photos : © 20th Century Fox.
Wow, j’ai appris plein de trucs, et notamment que c’était le même réal que Cauchemar à 20 000 pieds, lui-même bien flippant! Ce film m’avait pas mal terrifiée dans ma jeunesse et ma découverte de l’horreur. Depuis, je me méfie toujours des gens qui s’appellent Damien…
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De rien Girlie ! Oui, après avoir vu LA MALÉDICTION, les gamins nommés Damien font froid dans le dos 😉 Pour Richard Donner, il a en effet réalisé pas mal d’épisodes de séries tv cultes avant de faire carrière au cinéma…
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Très bel article mon Huggy ! Je ne connaissais pas toutes ces anecdotes sur le tournage. Celle avec les chiens m’a fait mourir de rire 😀
Ce film est terrifiant, j’en ai fait des cauchemars. Il ne donne pas du tout envie d’adopter un enfant ! Et comme Girlie maintenant je me méfie des Damien 😉
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Merci m’dame ! Oui, le film reste terrifiant parce qu’il joue plus sur la suggestion et l’ambiance horrifique…
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C’est tout à fait ça, c’est un film d’ambiance et ça marche du tonnerre. Il m’a autant effrayé que L’Exorciste. Tu m’as donnée envie de le revoir d’urgence 😀
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Ah ah ! Tu vas te faire des frayeurs 🙂 Le film a plutôt bien vieilli et fait encore froid dans le dos !
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