Revoir CAPRICORN ONE

Retour sur un thriller des années 70, devenu avec le temps l’un des films phare de cette période de doute et de remise en cause traversée par les États-Unis. Réflexion sur le pouvoir de l’image, CAPRICORN ONE nous pose la question suivante : comment réagirions-nous si nous apprenions que le plus grand évènement au monde est une supercherie ?

GUERRE FROIDE ET CONQUÊTE SPATIALE

À la base du film de Peter Hyams (OUTLAND, 2010, LA NUIT DES JUGES…), il y a deux périodes importantes de l’histoire des États-Unis d’Amérique : la Guerre Froide, période de tension entre les blocs de l’Ouest et de l’Est, étalée entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la chute du Mur de Berlin, et la course à l’espace, issue de cet affrontement entre USA et ex URSS.

Après le Spoutnik, premier satellite artificiel et d’origine soviétique, et Gagarine, cosmonaute devenu le premier homme dans l’espace, les Américains investissent des millions de dollars pour mettre en place un programme spatial, destiné à faire du pays le premier à coloniser la Lune. Dès la fin des années 50, la NASA est créée, les programmes spatiaux s’enchaînent et en juillet 1969, 3 astronautes réussissent la première mission Terre-Lune aller/retour.

Le monde suit l’évènement, l’accepte comme tel et applaudit, trop heureux de voir qu’un tel exploit est possible alors que les conflits sur Terre – dont la Guerre du Vietnam – sont une récurrence de l’actualité quotidienne. Mais un groupe d’irréductibles se formera avec le temps, persuadé que l’Homme n’a jamais posé le pied sur la Lune et qu’il s’agit tout simplement du plus gros canular jamais inventé.

Le scandale du Watergate en 1972, aboutissant 2 ans plus tard à la démission du président Nixon, renforce les adeptes de la « théorie du complot », les persuadants que la course à l’espace est une monumentale escroquerie, destinée à redorée l’image du pays après du peuple américain en plein bourbier vietnamien. Après les années 60 de l’insouciance et de la crédulité, les années 70 seront celles du doute et de la remise en question systématique des faits.

 

LA MODE DU THRILLER PARANO

Hollywood ne tarde pas à rebondir sur cette époque d’incertitude et de méfiance. Des films comme À  CAUSE D’UN ASSASSINAT ou LES 3 JOURS DU CONDOR traduisent avec succès les craintes de l’Amérique des années 70, offrant paradoxalement une période bénie de grandes œuvres cinématographiques à la fois divertissantes et réfléchies.

S’inspirant ouvertement des mission Apollo, le film de Peter Hyams commence alors qu’une mission vers la planète Mars, Capricorn One, est prête à décoller. Mais alors que le décompte final est enclenché, les 3 astronautes de la mission – Brubaker (James Brolin), Willis (Sam Waterston) et Walker (O.J. Simpson) – sont sommés de quitter leur capsule pour être conduits dans un hangar secret, perdu dans le désert.

On leur explique alors qu’un grave problème technique a été détecté. Devant l’importance de cette mission spatiale, nécessaire pour valider et financer les prochaines missions de la Nasa et le maintient du président en place. Face à la menace de mort que l’on fait peser sur leurs familles, les 3 hommes sont forcés de simuler le vol spatial et l’arrivée sur Mars.

Mais au cours d’une retransmission entre le vaisseau Capricorn One et les équipes de la Nasa, le journaliste Robert Caulfield (Elliott Gould) est intrigué par la réaction de la femme de Brubaker (Brenda Vaccaro). Décidé à enquêter, ses investigations ne seront pas sans risques…

 

SIMULATIONS BLUFFANTES

Lorsqu’il réalise CAPRICORN ONE, le réalisateur Peter Hyams remet en question, d’une manière détournée mais bien claire, les premiers pas de l’Homme sur la Lune. Loin d’être un complotiste illuminé, ses doutes se fondent sur sa propre expérience.

Peter Hyams dans les années 90…

En 1969, Hyams travaillait sur des documentaires pour la chaîne de télévision CBS. On le charge de filmer les séances d’entraînement des astronautes à la NASA.  Le jeune cinéaste qu’il est est stupéfait par le réalisme des simulations et se pose des questions sur le pouvoir des images.

Près de 10 ans plus tard, surfant sur la vague parano des années 70, Peter Hyams a tiré un scénario de ses impressions et doutes. Son premier film a été un échec commercial et seule la société britannique ITC Productions va lui apporter le financement de CAPRICORN ONE.

Doté d’un budget serré de moins de 5 millions de dollars et d’un temps de tournage limité à deux mois et demi, Hyams va constituer son casting en s’appuyant sur de solides acteurs plutôt que sur des stars.

 

UN CASTING SOLIDE

Après le Watergate et LES HOMMES DU PRÉSIDENT, les journalistes sont les nouveaux héros d’Hollywood, défenseurs de la vérité. En tête du casting de CAPRICORN ONE, Elliott Gould interprète donc l’intrépide journaliste Robert Caulfield. Révélé par MASH en 1970, Gould a tourné par la suite dans LE PRIVÉ du même Robert Altman, UN PONT TROP LOIN de Richard Attenborough ou le remake d’UNE FEMME DISPARAÎT. On l’a vu plus récemment dans la trilogie OCEAN’S de Steven Soderbergh et en père de Ross et Monica dans la série FRIENDS.

Brenda Vaccaro, dans le rôle de la femme du Commandant Brubaker, a tourné dans MACADAM COW-BOY, L’AFFRONTEMENT, LEÇONS DE SÉDUCTION et dernièrement dans ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD. Incarnant une journaliste et amie du personnage d’Elliott Gould,

Karen Black tourna dans COMPLOTS DE FAMILLE d’Alfred Hitchcock, L’INVASION VIENT DE MARS de Tobe Hooper et dans la série DEUX FLICS À MIAMI.

Dans les rôles des trois astronautes, on retrouve James Brolin (père de Josh Brolin et vu dans MONDWEST, AMITYVILLE LA MAISON DU DIABLE ou ARRÊTE-MOI SI TU PEUX) et Sam Waterston (GATSBY LE MAGNIFIQUE, LA PORTE DU PARADIS, LA DÉCHIRURE…). Quant à O.J. Simpson, après une carrière de footballeur américain, il a tourné dans LA TOUR INFERNALE et la série des Y-A-T-IL UN FLIC…? avant de devenir « célèbre » pour ses multiples démêlés avec la Justice, dont l’affaire très médiatisée du meurtre de son ex-épouse et d’un ami de cette dernière.

Enfin, l’acteur Hal Holbrook, dans le rôle du responsable du programme Capricorn One, a une carrière impressionnante, incluant MAGNUM FORCE (où il incarnait déjà un personnage trouble), FOG de John Carpenter, LES HOMMES DU PRÉSIDENT (dans lequel il incarnait « Gorge Profonde »), CREEPSHOW ou bien encore LA FIRME de Sydney Pollack. Il fut à nouveau l’un des interprètes de Peter Hyams aux côtés de Michael Douglas dans LA NUIT DES JUGES en 1983.

 

succès public et film marquant

À sa sortie en salles, CAPRICORN ONE fut le 3ème succès du box-office de l’année 1978 et le 1er quant aux productions indépendantes. Un film qui a marqué le public d’alors et, plus tard, lors de sa première diffusion à la télévision française dans l’émission L’AVENIR DU FUTUR – un programme dans l’esprit des DOSSIERS DE L’ÉCRAN mais tourner vers la Science-Fiction et l’Anticipation, avec un film suivi d’en débat – le film de Peter Hyams impressionna de nombreux jeunes spectateurs dont votre humble serviteur.

Son mélange de thriller, de film d’action et de SF « réaliste » fit beaucoup d’effet auprès du public. Sa BO, signée du grand Jerry Goldsmith, tantôt anxiogène et martiale puis tendre et mélancolique, fit certainement beaucoup pour l’impact suscité par le film.

Plus tard, je découvris, en visionnant le making-of de CAPRICORN ONE, que la NASA ne posa aucun problème quant au scénario parano. Elle aida même la production du film en prêtant à Peter Hyams des éléments comme une capsule et module d’alunissage ! Certains complotistes y ont vu immédiatement une manière de se donner bonne conscience.

Il faudrait leur rappeler tout de même que, même si elle est mentionnée tout au long du film dans un soucis de réalisme, la NASA n’y est pas considérée comme la coupable. Le responsable du programme Capricorn One, interprété par Hal Holbrook, et des membres du gouvernement sont les instigateurs de la supercherie, récit post Watergate oblige…

Pour ma part, je n’adhère pas à la théorie du complot quant aux premiers sur la Lune, dont nous avons fêté le cinquantième anniversaire cet été 2019. D’une certaine façon, c’est faire insulte aux astronautes qui ont risqué leur vie dans ce programme, comme à tous ceux, ingénieurs et techniciens, qui ont contribué à faire réussir cet improbable défi.

De plus, comment imaginer qu’un tel canular (un « fake » pour les « millenials » branchés d’aujourd’hui…) puisse se produire avec autant de monde impliqué, sans qu’aucune fuite ou bavure ne se produise ? Et s’il est vrai que bien d’autres problèmes seraient à résoudre ici bas avant de dépenser des milliards pour propulser quelques hommes hors de notre atmosphère, l’exploration spatiale ne doit pas être abandonnée.

CAPRICORN ONE est à voir comme un récit à suspense. Un « What if…? » comme le disent les anglo-saxons, cherchant à nous divertir et nous faire réfléchir. De nombreuses séquences du film se sont imposés auprès du public, telle celle de la découverte du décor Martien dans un hangar par les 3 astronautes stupéfaits, celle où Elliott Gould traverse une grande ville à bord d’une voiture aux freins sabotés ou bien encore la poursuite aérienne dans la dernière partie du film.

CAPRICORN ONE s’achève par une prenante scène au ralenti, peu crédible certes mais jubilatoire, soutenue par l’intense musique de Jerry Goldsmith. Une façon de croire que, parfois, la vérité triomphe du mensonge. Et d’admettre que ce film de Peter Hyams demeure un classique des 70’s à (re)découvrir.

 

CAPRICORN ONE (1978) de Peter Hyams.
Avec Elliott Gould, James Brolin, Hal Holbrook, Karen Black, Sam Waterston, O. J. Simpson, Brenda Vaccaro…
Scénario : Peter Hyams. Musique : Jerry Goldsmith.

Crédits photos : © Warner Bros

 

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6 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. princecranoir dit :

    Oh oui, très bonne idée ! D’autant que je l’ai vu il y a très longtemps maintenant et qu’une piqûre de rappel serait la bienvenue.
    C’est à mes yeux le meilleur film de Hyams, avec Outland que j’aime aussi beaucoup. La suite est moins convaincante hélas même si, je le reconnais, je ne les ai pas tous vus.
    Karen Black n’est donc pas qu’une charmante hôtesse de l’air, elle donne aussi dans l’astronautique. J’en prends bonne note, comme de sa participation à la série Miami Vice. Je vais sans tarder identifier l’épisode en question.
    Bravo pour ce bel et riche article.

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    1. Hyams a également réalisé LA NUIT DES JUGES avec Michael Douglas et Hal Holbrook. Un bon polar… Par la suite, et c’est bien dommage, sa carrière s’est enlisée effectivement.

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      1. princecranoir dit :

        Son aptitude à filmer les hommes dans l’espace aurait dû faire pour « 2010 » un très bon candidat, mais dans mon souvenir, ce n’était pas très réussi.
        Je note LA NUIT DES JUGES.

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    2. Je ne suis pas d’accord pour 2010. Certes, il est impossible, même 50 ans plus tard, de se mesurer au 2001 de Kubrick sans être descendu. Hyams a proposé une suite honnête, en ne cherchant pas à jouer dans le même registre que Kubrick mais en basant son film sur l’aventure humaine, avec un message pacifiste d’actualité, de beaux sfx et d’excellents acteurs (Roy Scheider, John Lithgow, Helen Mirren…).

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      1. princecranoir dit :

        Une révision s’impose donc de mon côté.

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      2. Après, les goûts et les couleurs… mais j’en ai gardé un bon souvenir.

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